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19 mai 2020 2 19 /05 /mai /2020 15:50

 

 

https://www.politis.fr/articles/2020/05/bresil-bolsonaro-le-debut-de-la-fin-41815/

 

Jaïr Bolsonaro, le début de la fin

Par Patrick Piro

Vendredi Premier Mai 2020

Départ de ministres, gestion irresponsable de la crise du coronavirus et vigilance des militaires, le président d’extrême droite est de plus en plus isolé politiquement et la perspective d'un processus de destitution se profile désormais.

La démission du ministre de la Justice du Brésil, Sergio Moro, pourrait bien donner le signal de ralliement qu’attendait une part grandissante de la classe politique au Brésil. L'enclenchement d’une procédure de destitution de Jair Bolsonaro devient désormais crédible. Certes, un tel projet fermentait depuis longtemps à gauche, où se regroupent les plus fermes opposants au président d’extrême droite. Il restait cependant une hypothèse d’école tant il semblait peu réaliste d’y faire adhérer au moins deux tiers des députés fédéraux pour le rendre effectif. Le système politique brésilien, doté de nombreux partis plus ou moins opportunistes, a créé un important ventre mou de parlementaires suivistes de l’exécutif, le centrao, assurant à Jaïr Bolsonaro une réserve de voix suffisante pour contrer une manœuvre de destitution, en dépit de l’accumulation de ses turpitudes et de ses outrances. Cependant, le rapport de force parlementaire est en train d’évoluer rapidement sous l’effet conjoint de la crise du coronavirus, de dissensions internes au gouvernement et d’appétits politiques grandissants.

Le limogeage par Jaïr Bolsonaro de son ministre de la santé, le 16 avril 2020, concluait une crise ouverte au sein du gouvernement sur la conduite à tenir pour gérer la pandémie de coronavirus. Luiz Mandetta préconisait la distanciation sociale, une doctrine que le président piétinait allègrement, allant à la rencontre de ses groupes de fans, serrant des mains et défendant son droit de prendre des risques. Celui qui qualifiait la maladie de grippette, il y a peu encore, est largement à l’origine du terme corona sceptique, il est aussi un climato sceptique actif. Les militaires, qui occupent plus d’un tiers des postes ministériels, ont tenté en vain de s’opposer au renvoi de Luiz Mandetta, qui en était venu à prendre l’opinion à partie.

« Les brésiliens ne savent plus à qui se fier, au président ou au ministre de la santé », s’inquiétait Luiz Mandetta quatre jours avant d’être démis. Un sondage indiquait que la population lui faisait bien plus confiance, avec soixante seize pour cent de réponses positives, qu’au président, avec trente trois pour cent de réponses positives, dans la gestion de la crise. Le coronavirus aurait déjà tué cinq mille cinq cent personnes, mais ces chiffres officiels sont fortement mis en question. Selon les chercheurs du groupe Coronavirus Brasil, au mois d’avril 2020, le nombre de cas de contaminations pourrait être sous-estimé d’un facteur quinze.

La démission de Sergio Moro, le 24 avril 2020, porte un coup d’une tout autre portée au régime de Jaïr Bolsonaro. Le ministre, magistrat de profession, a piloté les investigations dans l’énorme affaire dite Lava Jato de corruption politico-financière impliquant au premier rang l’entreprise pétrolière nationale Pétrobrás. Son zèle, clairement partisan, lui confère une notoriété internationale quand il parvient en 2018 à faire condamner l’ancien président Luis Inacio da Silva, dit Lula, à près de neuf ans de prison, il a été temporairement libéré au mois de novembre 2019, à la suite d’une procédure expresse et entachée d’irrégularités flagrantes. Son image de pourfendeur de la corruption lui a cependant conféré une forte popularité et son entrée au gouvernement a été considérée comme le meilleur coup politique de la prise de pouvoir de Jaïr Bolsonaro au début de l’année 2019.

La semaine dernière, le président annonce son intention de remplacer le directeur de la police fédérale, un corps d’investigation judiciaire placé sous tutelle du ministère de la justice. Le problème est que Mauricio Valeixo, alors titulaire, est un intime de Sergio Moro, son ancien bras droit dans les enquêtes du Lava Jato. Le ministre se braque et pose sa démission. Des ministres militaires, encore, tentent une conciliation, mais rien n’y fait.

Et Sergio Moro se lâche. Le nouveau directeur annoncé, Alexandre Ramagem, est un ami personnel de la famille de Jaïr Bolsonaro, et l’ancien ministre accuse ouvertement le président d’avoir voulu mettre la police fédérale à sa botte, pour contrôler notamment les affaires judiciaires en cours contre ses fils Flávio Bolsonaro, détournement de fonds et corruption, et Carlos Bolsonaro, impliqué dans l’assassinat de Marielle Franco. Sergio Moro affirme détenir des enregistrements à l’appui de ses dires, cinquante six pour cent des brésiliens soutiennent Sergio Moro, vingt pour cent des brésiliens soutiennent les dénégations de Jaïr Bolsonaro et les accusations ont paru suffisamment graves au Supremo Tribunal Federal (STF) pour qu’il ouvre une enquête, avec suspension de la nomination d’Alexandre Ramagem à la tête de la police fédérale. L’impact est immédiat. Jaïr Bolsonaro a renoncé dans la foulée à son projet.

Ce n’est pas la seule enquête du STF impliquant le président. S’il n’y est pas nommément cité, une investigation cherche à déterminer qui a organisé, devant le quartier général des armées à Brasília le 19 avril 2020, un rassemblement réclamant le retour de dispositions en vigueur pendant la dictature militaire et auquel il a participé. Cet acte, qualifié par des commentateurs de pré coup d’état, fait écho au soutien apporté un mois plus tôt par le président à des manifestations appelant à suspendre le congrès et le STF, accusés d’entraver l’action du gouvernement. Une autre action a été engagée, cette fois-ci directement contre lui, pour crime de responsabilité en raison de sa désinvolture face à la pandémie, qui suscite un tollé chez de nombreuses personnalités politiques. La requête demande le transfert d’un certain nombre de prérogatives présidentielles entre les mains du vice-président, le général Hamilton Mourao.

Une sorte de prélude à la destitution, désormais appelée ouvertement par de multiples voix politiques outrées. Si Jaïr Bolsonaro s’obstine à envoyer la société brésilienne à l’abattoir, il faut l’envisager, estime Luis Inacio da Silva. À gauche, Fernando Haddad du Parti des Travailleurs du Brésil et Ciro Gomes du Parti Démocratique Travailliste (PDT), que Jaïr Bolsonaro a devancé aux élections présidentielles de 2018, sont à l’unisson. L’ancien président Fernando Henrique Cardoso demande brutalement à Jaïr Bolsonaro de démissionner avant d’être démis et d’épargner ainsi au pays, en plein coronavirus, un long processus de destitution. À droite, João Doria, du Parti de la Sociale Démocratie Brésilienne (PSDB), gouverneur de l’état de São Paulo, l’état le plus riche du pays, et ancien allié du président, déplore que le pays ait désormais deux virus à combattre. Au total, la chambre des députés a été saisie de près de trente demandes de destitution, portées par des partis de gauche, le Partido Socialismo O Liberdade (PSOL), le PDT et le Parti Socialiste Brésilien (PSB), le Réseau Durabilité et le Parti des Travailleurs du Brésil, dont le groupe parlementaire fédéral reste le plus fourni.

S’il a décidé d’endosser le slogan Fora Bolsonaro, très populaire dans la rue, le Parti des Travailleurs du Brésil hésite encore à mettre en branle la machine à destituer. C’est un choix tactique. Le parti des anciens présidents Luis Inacio da Silva et Dilma Rousseff, elle-même destituée en 2016 par une procédure très critiquée, ne veut pas apparaître agir par esprit de revanche, mais sur des bases juridiques solides, qu’il faut rendre consistantes. Surtout, il lui faut s’assurer d’appuis politiques en nombre suffisant. Est-ce le cas alors que l’opinion publique reste partagée ? Selon une enquête de l’institut Datafolha, quarante cinq pour cent des personnes sondées sont pour l’ouverture du processus de destitution et quarante huit pour cent sont contre l’ouverture du processus de destitution, parmi lesquelles se retrouve le noyau dur du soutien populaire à Jaïr Bolsonaro, entre trente et trente cinq pour cent, ainsi qu’une frange estimant que le pays est hors de condition de s’offrir une crise politique d’ampleur alors que le pic de contamination au coronavirus est encore à venir.

Et puis le Parti des Travailleurs du Brésil n’entend pas laisser à Sergio Moro le champ libre ni le bénéfice d’avoir pris ses responsabilités en focalisant le calendrier politique sur la destitution de Jaïr Bolsonaro, car l’ancien ministre de la justice ne cache pas ses ambitions pour les élections présidentielles de 2022.

« Ne le laissons pas nous la raconter à l’envers. Jaïr Bolsonaro est le fils de Sergio Moro, ce n’est pas le contraire, et les deux sont des malfaiteurs », dit Luis Inacio da Silva. L’activisme du juge, en provoquant l’incarcération de Luis Inacio da Silva au printemps 2018, l’avait écarté d’une élection présidentielle dont les sondages le donnaient alors largement vainqueur.

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