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6 septembre 2020 7 06 /09 /septembre /2020 15:31

 

 

INTERVIEW D’ALEXEI GUSEV

Vous trouverez ci-dessous la première partie d’une interview d’Alexeï Gusev par Guillermo Iturbide. L’interview est disponible en totalité si vous consultez le site de Révolution Permanente à l’adresse ci-dessous.

Bernard Fischer

 

https://www.revolutionpermanente.fr/Trotsky-contre-revolutionnaire-pour-Staline-demon-de-la-revolution-pour-Poutine

Léon Trotsky, contre-révolutionnaire pour Joseph Staline, démon de la révolution pour Vladimir Poutine

Interview d'Alexeï Gusev par Guillermo Iturbide

Spécialiste de l’histoire de l'opposition de gauche soviétique, Alexeï Gusev enseigne à l'université Lomonosov de Moscou. Dans cet entretien, tiré de l’interview donnée à Guillermo Iturbide, pour Ideas de Izquierda, il revient sur quelques paradoxes entourant la figure de Léon Trotsky et sur la trajectoire des dissidences communistes, du temps de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) jusqu’à aujourd’hui, à l’époque de Vladimir Poutine.

Guillermo Iturbide. Commençons par une question biographique. Tu es né et tu as grandi au temps de l’URSS. Comment était-il possible d’accéder à des documents de l'opposition trotskyste ou d’apprendre sur elle ou sur l’opposition au stalinisme en général ? Comment es-tu venu à t’intéresser à ce mouvement politique ?

Alexeï Gusev. J’étais au lycée lors des dernières années de l’URSS, pendant la perestroïka. Puis je suis devenu étudiant en histoire à l'université d'état de Moscou. C’était une période de grands changements dans la société et dans notre pays. C’était aussi une période de grande crise idéologique pour le Parti Communiste de l'Union Soviétique (PCUS), car l’idéologie officielle, le marxisme-léninisme, avait perdu sa crédibilité, même parmi ceux qui en faisaient la propagande. Beaucoup sont devenus anticommunistes plus tard. Les russes ont commencé à chercher des alternatives politiques et sociales. Les années de la perestroïka, en raison des réformes de Mikhaïl Gorbatchev, ont été une période de réveil intellectuel et social. Cette recherche d’alternatives a poussé certains à chercher différents modèles. Vers la fin des années 1980, l’idéologie officielle du PCUS s’est tournée vers des figures comme Nikolaï Boukharine. Ce dernier a été vu comme l’un des précurseurs de la perestroïka et du socialisme de marché. Parallèlement, on a commencé à publier des œuvres de Léon Trotsky, ou sur lui. Mais Léon Trotsky ne cadrait pas bien avec le discours officiel de la perestroïka. Parce que Léon Trotsky n’était pas seulement contre Joseph Staline en tant que personne, mais contre le système de la bureaucratie dirigeante. Mikhaïl Gorbatchev et les défenseurs de la perestroïka étaient le produit de cette même bureaucratie et ils étaient incompatibles avec la figure de Léon Trotsky. Pour nous, les jeunes de l'époque de la perestroïka, Léon Trotsky était vu comme une sorte d’alternative, le symbole d’une alternative, non pas seulement contre le système de la nomenklatura bureaucratique de Joseph Staline, mais aussi contre le capitalisme, système vers lequel l'URSS se dirigeait à l’époque. C’est ainsi que je me suis intéressé à Léon Trotsky et j’ai essayé de me procurer ses textes. Nous pouvions accéder à ses œuvres, notamment à travers les documents des congrès et des conférences du PCUS. Celles-ci ont été publiées dans les années 1920 ou 1940, puis elles ont été publiées de nouveau sous Nikita Khrouchtchev lorsque celui-ci a critiqué le culte à la personnalité. Il y a eu aussi quelques publications dans les journaux des années 1920 que j’ai déniché pour mes recherches. Ensuite, lors de mon stage à l'institut du marxisme-léninisme de Moscou, j’ai trouvé les bulletins de l'opposition. Ce fut une grande découverte, car tout s’y trouvait, tout ce qui pouvait être considéré comme les positions de Léon Trotsky et de l'opposition sur divers sujets. J’ai pu ainsi, tout d’abord, écrire mon mémoire sur l'opposition en 1923, puis ensuite préparer une thèse de doctorat sur l'opposition trotskyste de la fin des années 1929 au début des années 1939. C’est-à-dire la période de clandestinité et d’exil de l'opposition, après l’exclusion des militants du PCUS. Le sujet était totalement inconnu pour les universitaires. Quelques travaux avaient été publiés, comme ceux de Pierre Broué, ou les Cahiers Léon Trotsky, mais ils s’appuyaient sur les archives de Léon Trotsky à l’étranger et non pas en URSS. Mes travaux sont basés principalement sur les sources des archives de Moscou, comme ceux du comité central du PCUS. C’est ainsi que je suis devenu un spécialiste de Léon Trotsky et de l'opposition.

Guillermo Iturbide. Y a-t-il eu, à cette époque d’autres chercheurs intéressés par l’histoire de l'opposition ? Je pense par exemple à Vadim Rogovine, qui a été publié, surtout en allemand et un peu en anglais.

Alexeï Gusev. C’est intéressant de voir comment a changé en Russie la manière dont on envisage l’histoire de Léon Trotsky et de l'opposition, notamment chez les biographes. Comme tu le sais, sous Joseph Staline, Léon Trotsky était vu comme l’incarnation du mal, une sorte d’antéchrist, la source de tous les maux et le diable. Joseph Staline disait en 1931 que Léon Trotsky et l'opposition étaient l’avant-garde de la contre-révolution. Ensuite, après Joseph Staline, sous Nikita Khrouchtchev ou Léonid Brejnev, la question a été officiellement repensée. L'opposition trotskyste a cessé d’être l’avant-garde, pour devenir l’arrière-garde de la réaction. Il y a eu un livre écrit par Mikhaïl Basmanov, un historien officiel, qui s’intitulait « la nature contre révolutionnaire du trotskysme contemporain ». Comme tu vois, il y a différentes approches. Bien sûr, pendant la réhabilitation des victimes du stalinisme sous la perestroïka, Léon Trotsky a été reconnu non plus comme un ennemi du peuple et du pouvoir soviétique, mais comme l’un des dirigeants de la révolution bolchévique de 1917. Mais, ironie du sort, de démon de la contre-révolution, il est devenu le démon de la révolution. Le général Dimitri Volkogonov, qui a été l’un des idéologues de la perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev, a écrit un article, puis un livre sur Léon Trotsky où il donne cette caractérisation de démon de la révolution. Le livre a été bien reçu par la presse et les médias et il est encore cité aujourd’hui. C’est-à-dire que Léon Trotsky est devenu le symbole de la révolution pour la révolution, de l’expérience révolutionnaire, du chaos et de la violence, et cela a été incorporé au discours officiel. Mais, en même temps, vers la fin des années 1980 et au début des années 1990, surtout à partir de 1990, l’œuvre des historiens dissidents russes et ukrainiens consacrée à Léon Trotsky a commencé à être lue. L’un des premiers historiens vivants qui s’est intéressé à la question était le professeur Viktor Danilov. C’est l’un des premiers spécialistes russes en histoire agraire. Il a étudié la collectivisation et l’agriculture collective. Il a écrit un article en 1990 dans une petite revue. Le titre de l’article était « nous commençons à comprendre Léon Trotsky ». Dans cet article, il s’en prenait à quelques mythes historiographiques contre Léon Trotsky, comme celui qui dit qu’il était un précurseur de Joseph Staline ou que c’était un fou qui voulait mettre la Russie à feu et à sang. C’était un court article, mais d’autres ont suivi. Des historiens avec beaucoup d’autorité comme Vitali Startsev et Alexandre Pantsov ont publié des articles sur Léon Trotsky et l’opposition. C’était au début des années 1990. J’ai aussi fait partie d’un comité international d’étude de l’héritage de Léon Trotsky, qui a été organisé par un groupe de chercheurs russes qui sympathisait avec la gauche, comme le professeur Mikhaïl Voyeikov de l’institut d’économie, ainsi que des collègues trotskystes aux Etats-Unis qui étaient intéressés par cette recherche. Nous avons organisé plusieurs conférences consacrées à l’opposition de gauche et nous avons publié un livre en 1998 dont le titre était « the ideological legacy of Leon Trotsky », que j’ai coédité avec Mikhaïl Voyeikov. C’est l’un des premiers livres consacrés à Léon Trotsky de l’ère post-soviétique.

Il faut bien sûr avoir à l’esprit la contribution de Vadim Rogovine, qui n’était pas un historien professionnel, mais un sociologue. Il travaillait à l’institut de sociologie et il n’avait pas accès à beaucoup d’archives. Ses livres sont plutôt de la vulgarisation. Il fait des analyses, mais il n’introduit pas de nouvelles sources. Mais sa contribution a été de réunir et de résumer tout ce qui avait été publié sur Léon Trotsky. Il a écrit des livres dans les années 1990, jusqu’à sa mort en 1998. Il s’agit de sept tomes sur l’opposition, de 1923 jusqu’à la mort de Léon Trotsky en 1940. Ces œuvres sont importantes en tant qu’introduction. Mais elles ont la faiblesse de ne pas mobiliser davantage de sources et d’être des éloges sans critique de Léon Trotsky, surtout en ce qui concerne ses idées sur la modernisation du pays. Pourtant, je recommande toujours à mes étudiants de les lire. Ensuite, à partir des années 2000, est apparu ce que je considère comme la principale contribution d’universitaires russes, qui sont basés aux Etats-Unis. Il s’agit de Georgi Chernyavsky et de Yuri Felshtinsky. En 2012, ils ont publié quatre volumes d’une biographie de Léon Trotsky. Ils utilisent des sources diverses et des matériaux intéressants, mais principalement des archives de Harvard et de Stanford, mais peu d’archives russes. Bien sûr, ils ont un parti pris un peu biaisé. Contrairement à Vadim Rogovine, ils ont un point de vue libéral. C’est leur faiblesse, ce qui ne les rend pas très objectifs. Il y a d’autres chercheurs, plus jeunes, qui travaillent maintenant sur ce sujet. Je peux mentionner Alexandre Reznik qui a soutenu sa thèse et qui a écrit un livre sur cette période dont le titre est « Leon Trotsky et ses camarades ». Il parle de l’opposition en 1923 et de divers aspects de cette période qui a marqué la naissance de l’opposition de gauche. Il y a également Vladislav Shabalin, qui a écrit un petit livre sur l’opposition dans l’Oural. Il vient de là-bas et il a utilisé des archives locales. C’est très intéressant, sur l’opposition entre 1927 et le début des années 1930. Il y a également Mikhaïl Voyeikov, que j’ai déjà mentionné. Il appartient à une autre génération, mais il écrit toujours sur le sujet. Il analyse Léon Trotsky principalement du point de vue économique. Mikhaïl Voyeikov dirige le département d’économie politique de l’institut d’économie de l’académie russe des sciences. Il y a d’autres jeunes, étudiants ou thésards, comme Dimitri Apalkov, de l’université d’état de Moscou. C’est un collègue qui vient de soutenir sa thèse sur le développement des luttes internes au sein du PCUS dans les années 1920 et 1930 et il consacre une grande partie de sa recherche à l’opposition de gauche. Mais, il faut l’avouer, ce n’est pas un champ d’études très étendu, ni très populaire. Comme tu peux voir, l’historiographie reflète le climat idéologique qu’il y a dans la société et au sein des autorités. Maintenant le discours officiel en Russie est conservateur et le parti au gouvernement, Russie Unie, est officiellement un parti conservateur. Vladimir Poutine et les siens revendiquent par exemple des figures comme celle de Pyotr Stolypin.

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