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18 mars 2022 5 18 /03 /mars /2022 17:06

 

 

HITLER ET STALINE ETOILES JUMELLES

Vendredi 18 Mars 2022

Léon Trotsky écrivait au mois de décembre 1939, deux mois après le début de la deuxième guerre mondiale, un long message relatif à cette guerre, dont le titre était « Adolf Hitler et Joseph Staline, étoiles jumelles ». Vous trouverez ci-dessous la deuxième et dernière partie de ce message. Il est disponible en totalité à l’adresse ci-dessous.

 

https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1939/12/lt04121939.htm

HITLER ET STALINE ETOILES JUMELLES

Par Léon Trotsky

Lundi 4 Décembre 1939

La fraction stalinienne est arrivée au pouvoir dans la lutte contre le prétendu trotskysme. Jusqu’à présent, toutes les purges, tous les procès fabriqués et toutes les exécutions, ont été menés sous le signe de la lutte contre le trotskysme. Fondamentalement, Moscou exprime dans l’emploi de ce terme la peur de la nouvelle oligarchie devant les masses. L’étiquette de trotskysme, conventionnelle en soi, a cependant déjà pris un caractère international. Je ne peux pas ne pas mentionner trois incidents récents, parce qu’ils sont très symptomatiques de tous les processus politiques engendrés par la guerre et qui en même temps révèlent nettement la peur que le Kremlin a de la révolution.

Le supplément hebdomadaire de Paris-Soir rapporte une conversation entre l’ambassadeur français Robert Coulondre et Adolf Hitler, le 25 août 1939, neuf jours avant la rupture des relations diplomatiques. Adolf Hitler postillonne et braille à propos du pacte qu’il a conclu avec Joseph Staline, « pas seulement un pacte théorique mais, je dirais, un pacte positif. Je vaincrai, je le crois, et vous, vous croyez que vous vaincrez mais, ce qui est certain, c’est que le sang allemand et le sang français couleront ». L’ambassadeur français répond que « si je croyais vraiment que nous l’emporterons, j’aurais également peur que le résultat de la guerre soit qu’il n’y ait qu’un seul vainqueur, Léon Trotsky ».

Interrompant l’ambassadeur, Adolf Hitler demande « pourquoi donner à la Pologne un chèque en blanc ». Le nom de personne n’a ici, bien entendu, qu’un caractère conventionnel, mais ce n’est pas un hasard si le diplomate démocratique et le dictateur totalitaire désignent tous les deux le spectre de la révolution par le nom de l’homme que le Kremlin considère comme son ennemi numéro un. Les deux participants à cette conversation sont d’accord, comme si cela allait de soi, que la révolution va se développer sous un drapeau hostile au Kremlin.

L’ancien correspondant du journal officieux français du Temps, qui écrit maintenant de Copenhague, indique, dans sa dépêche du 24 septembre 1939, que, sous le couvert de l’obscurité qui règne dans les black-out de Berlin, des éléments révolutionnaires ont collé des affiches dans les quartiers ouvriers avec les mots d’ordre suivants, « à bas Adolf Hitler et Joseph Staline, vive Léon Trotsky ». C’est ainsi que les ouvriers berlinois les plus courageux expriment leur rapport avec le pacte. La révolution sera dirigée par les courageux et elle ne sera pas dirigée par les couards. Heureusement, Joseph Staline n’est pas obligé de plonger Moscou dans le noir. Autrement, les rues de la capitale soviétique seraient couvertes de mots d’ordre non moins significatifs.

A la veille de l’anniversaire de l’indépendance tchèque, le protecteur baron Konstantin von Neurath et le gouvernement tchèque ont strictement interdit toutes les manifestations. « Les agitations ouvrières à Prague, particulièrement les menaces de grève, ont été officiellement dénoncées comme l’œuvre de communistes trotskystes », écrit le New York Times du 28 octobre 1939. Je ne suis pas du tout enclin à exagérer le rôle des trotskystes dans les manifestations de Prague, mais le fait même que leur rôle ait été officiellement exagéré explique les raisons pour lesquelles les maîtres du Kremlin n’ont pas moins peur de la révolution que Robert Coulondre, Adolf Hitler et le baron Konstantin von Neurath.

La soviétisation de l’Ukraine de l’Ouest et de la Pologne de l’Est, comme la tentative actuelle de soviétisation de la Finlande ne sont-elles pas des actes de révolution socialiste, oui et non, plutôt non que oui. Quand l’Armée Rouge occupe une nouvelle province, la bureaucratie de Moscou établit un régime qui garantit sa domination. La population n’a d’autre choix que de voter oui aux réformes effectuées dans un plébiscite totalitaire. Une révolution de cette espèce n’est faisable que dans un territoire occupé militairement avec une population dispersée ou arriérée. Le nouveau chef du gouvernement soviétique de Finlande, Otto Kuusinen, n’est pas un dirigeant des masses révolutionnaires, mais un vieux fonctionnaire stalinien, l’un des secrétaires de l’Internationale Communiste, à l’esprit rigide et à l’échine souple. Cette révolution, le Kremlin peut en vérité l’accepter et Adolf Hitler n’en a pas peur.

L’appareil de l’Internationale Communiste, formé, sans aucune exception, d’Otto Kuusinen et d’Earl Browder, c’est-à-dire de fonctionnaires carriéristes, est tout à fait incapable de diriger un mouvement révolutionnaire de masse, mais il sert à camoufler le pacte entre Joseph Staline et Adolf Hitler sous des phrases révolutionnaires afin de duper les ouvriers de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) et à l’étranger. Plus tard, les staliniens pourront l’utiliser pour faire chanter les démocraties impérialistes.

Nous sommes surpris de constater à quel point les leçons des événements d’Espagne ont été peu comprises. Tout en se défendant contre Adolf Hitler et Benito Mussolini, qui s’efforçaient, au travers de la guerre civile en Espagne, de construire un bloc de quatre puissances contre le bolchevisme, Joseph Staline s’est fixé pour tâche de prouver à Londres et à Paris qu’il était capable de venir à bout de la révolution prolétarienne en Espagne et en Europe avec bien plus d’efficacité que Francisco Franco et ses partisans. Personne n’a étranglé le mouvement socialiste en Espagne plus impitoyablement que Joseph Staline, qui passait à l’époque pour un archange de la démocratie pure. Tout a été mis en œuvre, une campagne forcenée de mensonges et de calomnies, des impostures légales, dans l’esprit des procès de Moscou, et l’assassinat systématique des dirigeants révolutionnaires. La lutte contre l’appropriation de la terre et des usines par les paysans et les ouvriers a été naturellement menée au nom de la lutte contre le trotskysme.

La guerre civile espagnole requiert l’attention la plus minutieuse, car elle constitue, à bien des égards, une répétition générale de la guerre mondiale qui commence. Joseph Staline, en tout cas, est prêt à répéter à l’échelle mondiale sa performance espagnole, avec l’espoir cette fois d’un meilleur résultat. En se ménageant l’amitié des futurs vainqueurs, il prouvera que personne ne peut, mieux que lui, écarter le spectre rouge, lequel portera de nouveau, pour satisfaire aux conventions terminologiques, l’étiquette du trotskysme.

Pendant cinq ans, le Kremlin a fait campagne pour une alliance des démocraties, pour finir par vendre à Adolf Hitler, au tout dernier moment, son amour pour la sécurité collective et la paix. Les fonctionnaires de l’Internationale Communiste ont reçu l’ordre d’aller à gauche et ils se sont immédiatement plongés dans les archives pour déterrer de vieilles formules sur la révolution socialiste. Le nouveau zigzag révolutionnaire sera probablement plus bref que le zigzag démocratique, parce que la guerre accélère énormément le rythme des événements, mais la tactique fondamentale de Joseph Staline reste la même. Il transforme l’Internationale Communiste en menace révolutionnaire contre les ennemis du lendemain afin de l’échanger, au moment décisif, contre une combinaison diplomatique favorable. Il n’existe pas la moindre raison de craindre une résistance de la part d’Earl Browder et des autres de son espèce.

Par le canal de correspondants dociles, le Kremlin laisse entendre de façon menaçante que, au cas où l’Italie et le Japon s’allieraient à la Grande-Bretagne et à la France, la Russie entrerait en guerre aux côtés d’Adolf Hitler tout en essayant de soviétiser l’Allemagne, voir à ce sujet la dépêche de Moscou du New York Times du 12 novembre 1939.

Etonnant aveu, le Kremlin est déjà tellement attaché au char de l’impérialisme allemand par la chaîne de ses propres conquêtes que tous les ennemis possibles d’Adolf Hitler deviennent automatiquement les ennemis de Joseph Staline. Joseph Staline couvre immédiatement sa participation probable à la guerre aux côtés du Troisième Reich d’une promesse de soviétisation de l’Allemagne. Pour le faire sur le modèle de la Galicie, il faudrait faire occuper l’Allemagne par l’Armée Rouge. Si le Kremlin a la possibilité de le faire en s’appuyant sur une insurrection des ouvriers allemands, pourquoi attendre que l’Italie et le Japon entrent en guerre ?

L’objectif de cette dépêche inspirée n’est que trop clair. Il s’agit d’effrayer le Japon et l’Italie d’une part, la Grande- Bretagne et la France de l’autre, et d’échapper ainsi à la guerre. « Ne me poussez pas à bout », menace Joseph Staline, « sinon je ferai des choses terribles ». C’est à quatre-vingt-quinze pour cent du bluff et c’est peut-être, à cinq pour cent, le nébuleux espoir que, en cas de danger mortel, la révolution apportera le salut.

L’idée que Joseph Staline soviétiserait l’Allemagne est aussi absurde que l’espoir nourri par Neville Chamberlain d’y restaurer une monarchie conservatrice pacifique. Seule une nouvelle coalition mondiale peut écraser l’armée allemande dans une guerre aux proportions inouïes. Le régime totalitaire ne peut être écrasé que par une gigantesque offensive des ouvriers allemands, mais ils ne feront évidemment pas leur révolution pour mettre un Hohenzollern ou Joseph Staline à la place d’Adolf Hitler.

La victoire des masses populaires sur la tyrannie nazie constituera l’une des plus grandes explosions de l’histoire du monde et elle changera du jour au lendemain le visage de l’Europe. La vague d’éveil de l’espoir et de l’enthousiasme ne s’arrêtera pas aux frontières hermétiques de l’URSS. Les masses populaires d’URSS détestent la vorace et cruelle caste dirigeante. Leur haine n’est retenue que par l’idée que l’impérialisme les guette. La révolution en occident privera l’oligarchie du Kremlin de son seul droit à l’existence politique. Si Joseph Staline survit à son allié Adolf Hitler, ce ne sera pas pour longtemps. Les étoiles jumelles tomberont du ciel.

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