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29 septembre 2013 7 29 /09 /septembre /2013 15:38

 

http://www.liberation.fr/monde/2013/09/22/merkel-tranches-de-villes_933896

 

Retour sur cinq lieux de la vie de la chancelière, reflet de l’histoire de son pays.

 

Devenue la plus jeune chancelière de l’histoire allemande en 2005, à tout juste cinquante et un ans, Angela Merkel est aussi la première femme à avoir dirigé le pays et la première à venir de l’ancienne RDA. « Sa carrière est profondément atypique dans un pays où les hommes politiques ne quittent guère leur milieu d’origine, voire leur Land », note Jacqueline Boysen, auteure de deux biographies de Merkel. Retour sur les lieux qui ont marqué sa vie.

 

Merkel, tranches de villes

 

Par Marc Semo, Nathalie Versieux et Lilian Alemagna

 

Lundi 23 Septembre 2013

 

Quelques semaines à l’ouest

 

C’est un quartier excentré du grand port hanséatique, sans charme, aux tristes maisons de brique sombre. Là, à Barmbek-Nord, le 17 juillet 1954, naît Angela Dorothea Kasner, premier enfant du théologien protestant Horst Kasner (1926-2011) et de Herlind Jentzsch, professeure de latin et d’anglais. Quelques semaines après la naissance de sa fille, le pasteur décide de migrer vers la RDA, à la demande de ses supérieurs de l’Eglise évangélique de Hambourg, inquiets du manque de prêtres à l’Est et pleins d’espoir sur une évolution du régime après la mort de Staline. La frontière n’est alors pas encore hermétique et, rien que sur les cinq premiers mois de cette année-là, cent quatre vingt mille personnes fuient la RDA pour rejoindre l’Ouest. Entre 1949 et la construction du mur en 1961, la RDA perdra deux millions cinq cent mille citoyens. Adepte de la doctrine de « l’Eglise dans le socialisme », Horst Kasner n’a rien d’un opposant au régime, qui lui accorde, privilège incroyable à l’époque, deux voitures de fonction et le droit de voyager en occident. Mais les biographes d’Angela Merkel sont d’accord sur un point, ce pasteur n’était pas non plus un « collaborateur ». Lorsqu’il recevait des opposants, il partait pour de longues promenades en forêt, afin de discuter tranquillement à l’abri de la Stasi.

 

Une enfance à l’est

 

La tombe est d’une grande simplicité. Depuis deux ans, Horst Kasner est enterré ici, dans ce cimetière de Templin, en lisière de forêt. La famille Kasner a débarqué en 1957 dans cette petite ville du Brandebourg, à près de quatre vingt kilomètres au nord de Berlin. Lors de leur arrivée en RDA trois ans plus tôt, le déménageur leur aurait lancé, « je ne connais que deux sortes de personnes qui passent de l’Ouest à l’Est, les communistes et les idiots ». Horst Kasner était simplement un jeune pasteur prêt à former de jeunes séminaristes.

 

Lorsqu’elle revient dans sa ville d’enfance, Angela Merkel est discrète. Sa mère y habite toujours, elle y donne même encore des cours d’anglais pour adultes certains soirs. La chancelière dispose aussi d’une petite maison dans un village tout proche. Les habitants ne semblent pas plus fiers que ça de compter une chancelière parmi eux. Autour de la place du marché, il est bien plus facile de trouver des livres est-allemands de cuisine qu’une biographie de leur dirigeante. Ici, on est en plein fief social-démocrate. Même sur sa maison d’enfance, pas de trace du passage de Merkel. A une centaine de mètres de là, on tombe sur l’école où elle a passé son bac. C’est devenu une « école de la nature », établissement libre sous contrat où l’enseignement se fait selon la pédagogie Montessori. Heike Schröder a connu la jeune Kasner. Elle se souvient d’une élève « à peine visible, mais très intelligente, son frère était délégué de classe. Pas elle. Ça peut aussi expliquer la femme politique qu’elle est devenue, elle ne s’asseyait jamais au premier rang ».

 

Cinq ans d’études et un mariage

 

Le bâtiment a tout de ces édifices soviétiques construits après la seconde guerre mondiale. A l’entrée, l’escalier mène directement à deux bustes et à une moulure en bronze, les physiciens Gustav Hertz, Peter Debye et Werner Heisenberg, l’un des fondateurs de la mécanique quantique. Au dix neuvième siècle, Leipzig (Saxe) est une capitale mondiale de la physique. La ville de Jean-Sébastien Bach, futur épicentre de la « révolution pacifique » qui mènera à la chute du mur, perd de son lustre scientifique sous la RDA. Angela Kasner y débarque en 1973.

 

Elle y étudiera cinq ans, dans la faculté dépendante de l’université Karl-Marx. « Angela était davantage intéressée par la théorie que par la pratique », raconte le professeur Jürgen Haase, qui était très ami avec Marcus Kasner, le frère de la chancelière. Dans cette fac, Angela Kasner rencontre Ulrich Merkel, avec qui elle se marie en 1977 à Templin pour divorcer quatre ans plus tard. Une récente biographie prête à Angela Merkel un activisme politique du temps où elle était à la fac. « Tout le monde était à la FDJ (Freie Deutsche Jugend, mouvement politique de jeunesse en RDA) », rétorque Jürgen Haase. « Elle, au contraire, était en contact avec des étudiants qui se mobilisaient contre le régime. Et je sais par une de ses proches amies qu’elle a eu des soucis avec la Stasi à la fin de ses études ici ». Il conclut en riant, « personne ne pensait qu’elle ferait un jour de la politique ».

 

De la physique à la politique

 

 « J’étais une bonne physicienne, mais pas un futur prix Nobel », reconnaît volontiers dans ses interviews la chancelière qui, arrivée à Berlin, mène une tranquille carrière à l’académie des sciences, austère bâtiment installé sur la place Adlershof. C’est là qu’elle se sépare d’Ulrich Merkel, dont elle garde le nom, et s’installe dans un immeuble de Schönhauser Allee, à Prenzlauer Berg, quartier alors populaire plutôt épargné par les destructions de la seconde guerre mondiale devenu depuis la chute du mur le cœur « bobo » de la capitale allemande.

 

Elle est déjà une bosseuse acharnée, discrète, mais nombre de ses amis sont des jeunes en rupture avec un système moribond. « Je n’étais pas une activiste anti régime, mais, depuis l’enfance, j’avais une vision très critique du système », expliquera-t-elle plus tard.

 

Elle est dans cet appartement retapé avec les moyens du bord quand elle entend, le soir du 9 novembre 1989, la conférence de presse du porte-parole du Parti, Günter Schabowski, annonçant l’ouverture des frontières avec effet immédiat, alors même que, depuis l’été, des milliers d’allemands de l’Est partaient par la Hongrie où le rideau de fer s’était déjà entrouvert.

 

« Je ne savais pas trop ce que cela voulait dire », se souvient-elle. Aussitôt, elle téléphone à sa mère mais ne change rien à son programme, comme chaque jeudi soir, elle va au sauna. Une marée humaine est dans la rue, marchant vers les postes frontières. Elle suit, passe à l’ouest dans le quartier de Moabit. « Puis je suis rentrée en me disant que le mur serait encore ouvert le lendemain », a-t-elle raconté. Elle avait une conférence à préparer pour une université polonaise.

 

Le monde bascule. Sa mère adhère au parti social-démocrate. Son petit frère aux verts. Elle s’énerve du tutoiement de rigueur à gauche et de la confusion. La très sage physicienne choisit le Renouveau Démocratique, proche de la CDU qui triomphe lors des premières élections libres de mars 1990.

 

L’ascension de « das Mädchen »

 

C’est l’époque de sa coupe au bol, de ses jupes informes. Un compliment la fait encore rougir, tandis qu’un revers peut la pousser à aller se cacher dans un coin pour pleurer.

 

Ses années à Bonn sont celles où Merkel fait preuve d’une incroyable capacité d’adaptation. Propulsée sans réseaux, sans soutien, seule ossie dans un panier de crabes macho dominé par les catholiques, elle apprend à se méfier de tous. Elle a trente six ans et un succès électoral derrière elle, elle vient de remporter quarante huit pour cent des voix dans sa circonscription des bords de la Baltique dans l’ancienne RDA. Divorcée et sans enfants, elle est bombardée ministre de la famille et des femmes, dans un bâtiment des bords du Rhin au charme d’une caserne.

 

Lorsqu’elle réédite son score aux élections de 1994, elle quitte enfin un ministère qu’elle n’aime guère pour l’environnement, un domaine qui passionne l’ancienne physicienne que son mentor Helmut Kohl surnomme, mi-affectueux mi-goguenard, « das Mädchen » (« la gamine »). En 1998, profitant de la débâcle de Kohl face à Schröder et du scandale des caisses noires de la CDU, elle arrache à la surprise générale la direction du parti chrétien démocrate.

 

Autour d’elle, les têtes commencent à tomber. Le 22 décembre 1999, elle signe dans le « Frankfurter Allgemeine Zeitung » la colonne qui allait « tuer le père ». « Le parti doit, comme un jeune dans l’adolescence, trouver son propre chemin ». Le Bundestag vient de déménager à Berlin et c’est dans la nouvelle capitale allemande qu’Angela Merkel poursuit son ascension vers le pouvoir.

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