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2 juillet 2016 6 02 /07 /juillet /2016 15:56

REPONSE A JULIEN COUPAT

Vous trouverez ci dessous la première partie d'un message de Juan Chingo et d'Emmanuel Barot en réponse à Julien Coupat.

Le message est disponible en totalité si vous consultez le site www.revolutionpermanente.fr à l’adresse ci-dessous.

Bernard Fischer

http://www.revolutionpermanente.fr/L-antipolitique-autonome-et-ses-illusions

L’antipolitique autonome et ses illusions

Par Juan Chingo et Emmanuel Barot

Mercredi 22 Juin 2016

Dans un texte du 24 janvier 2016, très ancien à l’aune de la temporalité propre à la lutte des classes et ses accélérations, que trois gros mois de combat contre la loi travail ont incarné, Julien Coupat et Eric Hazan proposaient une « invitation au voyage » en appelant à un « processus destituant » pour la période à venir, tout particulièrement contre la polarisation programmée autour du rituel pseudo-démocratique des élections présidentielles de 2017. Julien Coupat, en compagnie de Mathieu Burnel, est revenu récemment, Lundi 13 Juin 2016, dans une interview donnée à Mediapart, à l’aune cette fois de ce printemps, sur cette idée de « destitution ». Nous partons ici de ces textes pour discuter certains aspects des courants autonomes qui ont constitué jusqu’ici une des composantes de ce printemps de combat contre la loi travail, en particulier dans la jeunesse.

Les deux auteurs, dans leur texte, avancent d’abord l’idée qu’il faut « former un tissu humain assez riche pour rendre obscène la bêtise régnante et dérisoire l’idée que glisser une enveloppe dans une urne puisse constituer un geste, a fortiori un geste politique ». Certes, élections pièges à cons, nous savons cela depuis pas mal de décennies maintenant. Un « tissu humain assez riche pour », disent-ils en fin de texte, « ramener sur terre et reprendre en main tout ce à quoi nos vies sont suspendues et qui tend sans cesse à nous échapper ». Certes oui, à ce degré de généralité nous serons facilement d’accord. Mais nous y reviendrons, car la conclusion du texte, qui joue le rôle d’orientation « stratégique », est encore plus expressive, « ce que nous préparons, ce n’est pas une prise d’assaut, mais un mouvement de soustraction continu et la destruction attentive, douce et méthodique de toute politique qui plane au-dessus du monde sensible ».

A très juste titre, toute sortes d’objections leur ont alors été faites, la plus importante étant, outre le caractère nébuleux des formules, l’absence totale de référence à la lutte des classes, à ce contre quoi il y a à se battre et s’organiser et ce à quoi il faudrait se « soustraire », le pouvoir patronal, l’état bourgeois, les rapports de production capitalistes, les dominations et aliénations, d’où qu’elles viennent, mais que ceux-ci ont réorganisé autour de l’exploitation la plus brutale. Frédéric Lordon de son côté avait répondu sur un mode plus prospectif, dans un article du Monde Diplomatique intitulé « pour la république sociale » que le « problème des mouvements destituants, cependant, est qu’ils se condamnent eux-mêmes à l’inanité s’ils ne se résolvent pas à l’idée qu’aux grandes échelles il n’y a de politique qu’instituée ou réinstituée. C’est sans doute une ivresse particulière que de rester dans le suspens d’une sorte d’apesanteur politique, c’est-à-dire dans l’illusion d’une politique « horizontale » et affranchie de toute institution, mais si le mouvement ne revient pas sur terre à sa manière, c’est l’ordre établi qui se chargera de l’y ramener et à la sienne. Mais alors, comment sortir de cette contradiction entre l’impossible prolongement du suspens destituant et le fatal retour à l’écurie parlementaire ».

La solution que proposait Frédéric Lordon pour sortir de la contradiction n’est pas la nôtre et nous l’avons déjà discutée, remettre au centre « cette institution qu’ils ont d’abord voulu contourner, la représentation » dit-il. Mais au moins il avait le mérite de poser un minimum le problème d’une politique alternative autant à l’électoralisme le plus crasse qu’à une telle antipolitique éthérée de la destitution reformulée de façon tout aussi nébuleuse dans l’interview du Lundi 13 Juin 2016, « la destitution, c’est d’ores et déjà cela qui est à l’œuvre depuis des mois dans chacune des rencontres et dans chacune des audaces qui font la vitalité de ce mouvement. La question du jour d’après et de ce qui se passe ensuite, bref de l’angoisse des garanties, voilà bien ce qui n’a aucun sens dans l’actualité intégrale de la mêlée ». Ou encore, « nous l’avons appelé destituant en ce que, par sa simple existence et par ses interventions ponctuelles, il ruinerait pas à pas la faculté du gouvernement à gouverner. Cette mise en échec des stratégies gouvernementales successives, ramenées à de minuscules avortons de gestes, n’est-ce pas de cela que nous sommes témoins depuis plus de trois mois ».

De quelle mise en échec parle-t-on exactement ? Bien sûr le gouvernement n’a pas eu et n’a toujours pas la partie facile, et il le sait. Bien sûr les stratégies médiatiques, les institutions et la police en particulier, connaissent un discrédit grandissant. Et le tout dernier pas en arrière du gouvernement, revenant sur sa décision d’interdire la manifestation du Jeudi 23 Juin 2016, est un épisode supplémentaire de sa perte croissante d’autorité. Mais, pourquoi donc alors, malgré cette faiblesse pathétique depuis plus de trois mois, n’avons-nous pas encore pu défaire François Hollande et sa politique ? C’est de cela dont nous devons discuter, malgré ces difficultés croissantes du gouvernement à gouverner, la loi n’a pas encore été retirée. D’autre part, on ne peut laisser croire que ce sont les têtes de cortège dans les manifestations, les « interventions ponctuelles », qui ont à elles seules affaibli ou mis en difficulté le gouvernement. Bien sûr la réaction très combative contre la répression, dans les manifestations, et le refus de baisser les yeux représente un changement énorme dans la situation politique. Mais si depuis le début du mois de mai 2016 nous assistons à ce bras de fer très particulier entre le gouvernement et la Confédération Générale du Travail (CGT) et si la mobilisation est encore d’actualité, malgré les éléments évidents de tassement qui caractérisent la situation, n’est-ce pas avant tout en raison du retour de la classe ouvrière sur la scène politique, au travers d’un processus de grèves dans certains secteurs stratégiques et d’une combativité grandissante là où personne ne l’attendait ?

Quand l’antipolitique vend du rêve à ceux qui cauchemardent debout

Ce genre de formules sur la destitution illustre ce que nous voulons entendre ici par antipolitique, terme qui n’a rien à voir avec apolitique, parfaitement impropre en l’occurrence, un type de politique qui hypertrophie sa forme pour masquer son absence de contenu, opposée à l’idée qu’on ne peut gagner, contre l’état bourgeois et toutes ses armes, sans chercher à convaincre une masse critique suffisante de celles et ceux qui luttent. Donc qu’il faut œuvrer à cela en s’organisant sur la durée sur la base d’un plan de bataille cohérent et précis, d’une part sans se laisser piloter, en dernière instance, par les figures, postures et organisations officielles notoirement réformistes, qu’elles soient assumées ou pas comme telles, d’autre part sans se vendre du rêve sur ce qu’on peut conquérir « ici et maintenant » ni sur les conditions dans lesquelles ce gouvernement pourra réellement être mis en échec.

Le combat, toujours en cours, contre la loi travail et le passage étatique au stade industriel du matraquage ou, en d’autres termes, son saut bonapartiste, ont montré deux choses. D’abord, l’émergence d’un ras-le-bol, sur des bases politiques foncièrement anticapitalistes d’une frange croissante de la jeunesse mais aussi de travailleurs et de précaires qui en ont marre de se faire taper dessus et de devoir se contenter d’expédients pour survivre. Et qui ont tellement la rage qu’ils n’ont déjà plus peur de la répression, qu’ils sont prêts à l’affronter, et même à se préparer pour l’affronter plus encore. La politique ayant horreur du vide, les courants autonomes, très actifs dans les manifestations depuis plusieurs mois, ont effectivement compris cette réalité caractéristique de la période qui s’est ouverte, il y a un degré de combativité nouveau dans ce pays, qui s’est déjà suffisamment enraciné pour constituer de puissants germes pour la suite des opérations, qui se traduit par la fin de la peur du flic, de la matraque et du canon à eau, et qui, dans la jeunesse mobilisée en particulier, s’enracine dans une aspiration de plus en plus profonde à une existence désaliénée, fraternelle et libérée de toutes ces ignobles chapes de plomb qui gangrènent le moindre petit élément du quotidien. Ce réveil de la combativité est un fait marquant de ce printemps et, face à lui, il est très juste de dire que, aujourd’hui « le gouvernement a peur », mais ce n’est pas nouveau, quand plus largement les méthodes dures de la lutte des classes surgissent, elles le font très vite trembler, ne suffisait-il pas, à l’automne, d’une chemise arrachée pour le mettre en état d’alerte maximale, raison pour laquelle il ne se prive pas d’agiter le spectre de « l’ultra-gauche » radicalisée, dans la logique initiée par l’affaire de Julien Coupat et du groupe de Tarnac, « mis en examen pour terrorisme » ainsi qu’il signe la tribune co-écrite avec Eric Hazan, et que, dorénavant, l’amalgame entre la menace djihadiste et celle du « terrorisme rouge » repointe son nez dans la « grande » presse.

Mais la seconde chose est justement ce qui fait de cette « invitation à destituer » une antipolitique, qui donne du cœur à l’ouvrage mais oublie de nourrir le cerveau et s’incarne, entre autres, dans cette bataille fort ancienne entre autonomes et réformistes. Pas besoin de revenir ici sur le fait que les premiers, comme d’habitude, même si c’est à une échelle plus grande symptomatique de la situation, ont une nouvelle fois fait le plus souvent de l’affrontement direct avec les forces de répression le fin du fin.

Bien sûr cet affrontement est structurellement en germe dans une société fondamentalement violente, société d’exploitation et d’oppression, et les passages à l’action directe ont historiquement toujours constitué une composante des luttes de la classe ouvrière contre la bourgeoisie et ses appareils d’état. Et du reste la confrontation avec la police est de fait comprise ou tacitement soutenue par des franges de plus en plus larges que ces seuls secteurs, l’ampleur de la répression a été telle ce printemps que le pacifisme et le légalisme sont apparus de plus en plus largement, et à raison, comme des mystifications et l’auto-défense organisée est apparue comme une nécessité, une seule manifestation parisienne suffit à affranchir le plus sceptique. Mais le fait de transformer trop souvent cette composante en tactique minorisante, s’auto-justifiant de façon illusoire en affirmant qu’élever ce niveau de confrontation aurait par soi un effet de radicalisation et de massification, de même que le rapport très incantatoire ou même hostile à l’auto-organisation la plus large dans les autres espaces de construction de la lutte, n’est pas le problème, il en est le symptôme. Le fond de l’affaire est surtout la confusion totale entre, d’une part, la nature de l’affrontement qu’il y a à construire avec le système et les fins servant de boussole et, d’autre part, les moyens de le construire, confusion induite par l’absence de la moindre vision un peu conséquente de ce que peut vouloir dire destituer concrètement, c’est-à-dire en termes de puissance matérielle des opprimés capable d’abattre la puissance matérielle de leurs oppresseurs.

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