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13 août 2016 6 13 /08 /août /2016 16:45

http://www.lemonde.fr/europe/article/2016/08/12/la-lutte-pour-le-controle-du-labour-sombre-dans-les-reglements-de-compte_4981645_3214.html

La lutte pour le contrôle du Labour sombre dans les règlements de compte

Par Eric Albert, envoyé spécial du Monde à Newcastle

Jude Grant regarde par-dessus son épaule et baisse la voix. Dans l’élection primaire pour la direction du parti travailliste, elle, simple membre du parti travailliste depuis vingt ans, soutient Owen Smith, l’un des deux candidats. Mais, Jeudi 11 Août 2016, assise au milieu d’une salle à Newcastle acquise à la cause de Jeremy Corbyn, le leader sortant, elle préfère ne pas le dire trop fort.

Dans quelques minutes, les deux hommes vont s’affronter dans un débat qui sera tendu, acrimonieux. « Le parti travailliste est dans un état catastrophique », explique Jude Grant.

« L’équipe dirigée par Jeremy Corbyn n’a aucune chance d’arriver au pouvoir. Ses supporters sont des gens qui se parlent entre eux. Ils ne touchent absolument pas le reste de la population. Le fait que je ne me sente pas à l’aise au milieu de cette foule, qui m’intimide, en dit long sur les tensions qui règnent », ajoute-t-elle.

De fait, la bataille pour la direction du parti travailliste est en train de dégénérer en luttes intestines, dans une ambiance délétère. Jeremy Corbyn, élu à la surprise générale au mois de septembre 2015, fait face aux instances dirigeantes de son propre parti.

Motion de défiance des députés contre Jeremy Corbyn

Accusé d’avoir soutenu trop mollement le maintien du Royaume-Uni de Grande Bretagne dans l’Union Européenne lors de la campagne pour le référendum du Jeudi 23 Juin 2016, il est considéré comme partiellement responsable du Brexit. Les trois quarts des députés du parti ont voté une motion de défiance contre lui, ce qui a finalement forcé la remise en cause de son mandat.

Il fait aujourd’hui face à Owen Smith, un député gallois de quarante six ans, qui était presque inconnu il y a deux mois.

Depuis, incapables de s’entendre, le leader sortant et le National Executive Committee (NEC) du parti travailliste se disputent sur tout. Et pour régler leurs différends sur les règles de l’élection primaire, ils sont obligés d’avoir recours aux tribunaux. Le NEC voulait limiter le corps électoral à ceux qui sont adhérents depuis au moins six mois, excluant ainsi cent trente mille nouveaux membres considérés comme favorables à Jeremy Corbyn. Ce dernier a porté l’affaire devant la justice, qui lui a donné raison en première instance. Mais le NEC a fait appel, et le verdict devait être rendu Vendredi 12 Août 2016.

Entre Jeremy Corbyn et Owen Smith, les couteaux sont tirés. « Tu n’es pas capable de nous faire revenir au pouvoir », a martelé, Jeudi 11 Août 2016, le challenger. « Tu n’es pas capable de tenir ensemble la coalition que représente le parti travailliste ».

Nouvelles recrues

L’argument ne concerne pas tant la substance, Owen Smith se décrit comme socialiste, tout comme son opposant, que la question de l’éligibilité de Jeremy Corbyn. « Il faut être honnête. Nous sommes très loin derrière dans les sondages, autour de vingt huit pour cent, contre quarante pour cent aux conservateurs, notre popularité est catastrophique. Je n’ai pas moins de principes que Jeremy Corbyn, mais nous devons reprendre le pouvoir, sinon, nous ne pourrons pas mettre en pratique nos idées ».

Jeremy Corbyn réplique que les problèmes de popularité actuels viennent des coups portés contre lui par la machine du parti. Il en veut à Owen Smith d’avoir quitté le cabinet fantôme. « Si tu veux te battre contre les conservateurs, pourquoi as-tu démissionné », a-t-il lancé, sous les applaudissements nourris de la foule. « Nous sommes une force formidable si nous sommes ensemble ».

Surtout, Jeremy Corbyn possède un atout maître, une foule qui l’acclame partout où il passe.

Les nouvelles recrues affluent par milliers. Le parti travailliste compte aujourd’hui cinq cent quinze mille membres, trois cent mille de plus qu’après la défaite aux élections législatives du mois de mai 2015. Un tel engouement est historique. Au pic de la popularité de Tony Blair, en 1997, le parti travailliste ne comptait que quatre cent cinq mille adhérents.

A Newcastle, plusieurs dizaines de supporters attendaient leur héros à l’extérieur de l’hôtel où se déroulait le débat, tandis qu’Owen Smith est entré en catimini par une porte dérobée, dans l’indifférence générale.

« J’admire la décence, l’intégrité de Jeremy Corbyn », explique Tony Pierre, un infirmier psychiatrique pour enfants, qui a adhéré au parti travailliste il y a dix mois. « C’est un vrai socialiste. Pour la première fois, j’ai l’impression que quelqu’un exprime vraiment mon opinion ».

Infiltration trotskiste

Cet engouement fait de Jeremy Corbyn le grand favori de l’élection primaire, dont le résultat sera connu le 24 septembre 2016. Le problème est que cette foule, composée en particulier de vieux militants radicaux et de jeunes étudiants, ne touche pas nécessairement l’électorat populaire traditionnel du parti travailliste. « Le problème n’est pas le T-shirt qu’on porte ou le badge qu’on arbore, mais le pouvoir », a tancé Owen Smith, sous les huées.

Tom Watson, le numéro deux du parti, met en doute la réalité du mouvement populaire. Il estime que la base travailliste est progressivement infiltrée par des trotskistes, avec l’approbation tacite de Jeremy Corbyn. Il soupçonne particulièrement les activistes de Militant, un groupe exclu du parti travailliste dans les années 1980, de chercher à revenir dans la course.

Devant l’hôtel de Newcastle où se tenait le débat, plusieurs membres du groupe, désormais rebaptisé Socialist Party, étaient effectivement présents, tenant des panneaux de soutien. Mais ils réfutent toute tentative de noyautage.

« Pour l’instant, je ne peux pas devenir adhérent du parti travailliste parce que je n’ai pas le droit d’être dans les deux partis à la fois, mais je soutiens Jeremy Corbyn et j’espère que, à terme, nous pourrons devenir affiliés », explique Norman Hall, qui avait été exclu du parti travailliste en 1982. A la sortie du débat, Michael Mordey, un élu local qui hésite encore entre les deux candidats, se tenait la tête dans les mains. « Il y a un vrai risque que le parti se scinde en deux », assure-t-il.

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