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3 juillet 2017 1 03 /07 /juillet /2017 20:02

 

http://www.liberation.fr/debats/2017/07/02/monsieur-le-president-maintenir-assad-c-est-soutenir-le-terrorisme_1581057

 

Maintenir Bachar al Assad, c’est soutenir le terrorisme

 

Dimanche 2 Juillet 2017

 

Dans une interview donnée à la presse européenne, Mercredi 21 Juin 2017, Emmanuel Macron ne fait plus du départ de Bachar al-Assad un préalable à tout. Une centaine d’intellectuels et de spécialistes de la région réagissent.

 

Dans une interview récente accordée à huit journaux européens, Emmanuel Macron a rendu public un revirement diplomatique majeur de la France. Il a déclaré, à propos de la Syrie que « le vrai aggiornamento que j’ai fait à ce sujet, c’est que je n’ai pas énoncé que la destitution de Bachar al-Assad était un préalable à tout. Car personne ne m’a présenté son successeur légitime ». Emmanuel Macron justifie ce revirement au nom de la lutte contre le terrorisme.

C’est une erreur d’analyse majeure qui non seulement affaiblira la France sur la scène internationale mais n’endiguera en aucune manière le terrorisme.

En reconnaissant la légitimité de Bachar al-Assad, alors même que ses crimes sont largement documentés, Emmanuel Macron place la France dans la position d'état complice. Or, le peuple français ne lui a pas donné le mandat pour mener cette politique, puisqu'il a fait campagne en défendant des positions contraires. En réponse aux questions des associations franco-syriennes, il avait notamment affirmé entre les deux tours des élections présidentielles que « Bachar al-Assad a commis des crimes de guerre contre son peuple. Son maintien au pouvoir ne peut en aucun cas être une solution pour la Syrie. Il n’y aura pas non plus de paix sans justice et donc les responsables des crimes commis, notamment les attaques chimiques, devront en répondre. La France continuera d’agir au conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies (ONU) en ce sens, malgré l’obstruction systématique d’un des membres permanents ».

La diplomatie française s’est jusqu’ici distinguée par une ligne politique cohérente en condamnant explicitement le régime criminel de Bachar al-Assad. Les preuves ne cessent de s’accumuler et plus de quatre vingt dix pour cent des victimes civiles en Syrie sont le fait du régime et non de l’insurrection syrienne, du parti de l'union démocratique (PYD), la branche syrienne du parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), ou même de l’Etat Islamique. Emmanuel Macron a déclaré vouloir poser deux lignes rouges, les armes chimiques et l’accès humanitaire.

Celles-ci ont été franchies depuis longtemps en toute impunité. Emmanuel Macron en exclue d’autres, bombardements des populations civiles, tortures et incarcérations de masse, y compris d’enfants, sièges de villes et de quartiers qui affament les populations et enrôlements forcés. Ces exactions sont tout autant inacceptables.

Emmanuel Macron renonce à l’exigence de justice qu'il avait affirmée au nom d’un prétendu réalisme selon lequel il n’y aurait pas d’alternative à Bachar al Assad. Il ajoute que « la démocratie ne se fait pas depuis l’extérieur à l’insu des peuples ». Il valide ainsi la thèse du régime syrien selon laquelle ce n’est pas le peuple qui aspirerait à la démocratie mais des puissances extérieures qui tenteraient de la lui imposer. La Syrie n’est pas l’Irak, il ne s’agit en aucun cas d’exporter la démocratie. La révolution syrienne débute dans le contexte des printemps arabes et elle n’est pas le fait d’une invasion occidentale.

C’est justement pour obtenir la démocratie par lui-même que le peuple syrien s’est levé contre Bachar al Assad. S’il y a ingérence, c’est plutôt parce que la Russie et l’Iran s’obstinent à entraver son droit à l’autodétermination. Le propos d'Emmanuel Macron porte en lui l’infantilisation de tout un peuple. Il n'envisage pas que le peuple syrien puisse désigner lui-même un successeur légitime à Bachar al Assad.

Quoi pourtant de plus illégitime qu’un dictateur qui pratique le gazage des populations civiles, l’usage des barils d’explosifs, les exécutions sommaires, le viol collectif des femmes et des enfants et la destruction intentionnelle des hôpitaux et des écoles ? Emmanuel Macron affirme que « Bachar al Assad n’est pas notre ennemi, c’est l’ennemi du peuple syrien ». En réalité, Bachar al-Assad n’est pas uniquement l’ennemi du peuple syrien. Il est l’ennemi de l’humanité tout entière.

Non seulement du fait de ses crimes contre l’humanité, mais aussi parce qu’il est l’un des premiers responsables de la montée en puissance de l'Etat Islamique qui s’attaque à la France et au reste du monde.

La solution d'Emmanuel Macron n’est pas nouvelle et elle aligne la diplomatie française sur les positions américaines et russes, au nom de la lutte antiterroriste, donner un blanc-seing au régime et cautionner l’élimination de la rébellion issue des manifestations pacifiques de 2011. L’échec de cette stratégie engagée par Barack Obama à partir de 2013 est pourtant patent.

C’est bien l’abandon de l’insurrection par l'occident qui a donné à des groupes jihadistes l’occasion de prospérer dans une partie de la Syrie.

C’est pourquoi la perpétuation de cette configuration ne laisse d’autre alternative à ceux qui s’opposent au régime que l’exil, la mort ou le rapprochement avec les groupes les plus radicaux.

Bachar al Assad n’est pas l’ennemi du terrorisme, il en est le promoteur. Le régime ne s’est pas contenté de créer le chaos permettant la prolifération de groupes jihadistes. Le régime a adopté une stratégie délibérée et active consistant à faciliter leur implantation sur le territoire et à éliminer dans le même temps les franges les plus démocratiques de l’insurrection. Il a libéré en 2011 de sa prison de Saidnaya des centaines de jihadistes. Puis, avec le concours de ses alliés, il a systématiquement bombardé et attaqué les zones tenues par les rebelles et non pas celles tombées sous le contrôle de l’Etat Islamique.

Emmanuel Macron a déclaré qu'il ne voulait pas d’un état failli. Or, il l’est déjà. Le régime de Damas, désormais sous tutelle étrangère, n’assure plus les missions régaliennes d’un état et il ne contrôle plus son territoire. L'armée est suppléée au combat par des milices ou des forces armées étrangères omniprésentes, un quart de la population syrienne est exilée, les zones insurgées qui demeurent libérées sont gérées de façon autonome, par exemple, les soins et l’aide alimentaire y sont assurés soit par les Organisations Non Gouvernementales (ONG) internationales soit par les populations locales.

Il existe des alternatives à Bachar al-Assad en Syrie. L’insurrection issue des groupes qui ont manifesté pacifiquement en 2011 pour la fin de la dictature continue de résister. Daraya, Douma, Alep, Deir Ezzor, Raqqa, Homs, Deraa, Idleb et bien d’autres villes insurgées ont mis en place leurs propres conseils locaux et ont organisé des élections pour leur gestion. Ce sont ces expériences démocratiques qui constituent le véritable terreau pour que puisse émerger une transition politique.

Quant à lui, par la voix du journal du parti Baath, le régime de Damas a d’ores et déjà instrumentalisé les propos d'Emmanuel Macron pour valider sa thèse officielle du complot terroriste fomenté par l'occident en déclarant « qu'après l’échec de tous les paris sur les mouvements terroristes pour porter atteinte à l'état patriotique syrien, après l’échec du complot ourdi par les soutiens du terrorisme et ses créateurs et après le retour du terrorisme à la gorge de ses créateurs, les pays occidentaux commencent à faire volte-face et à changer leur position sur la crise syrienne afin de trouver une nouvelle posture pour sauver la face ». Cela ne fait que confirmer qu’il n’y a pas de négociation possible avec un tel régime. La seule solution de sortie du conflit en Syrie est politique et doit se faire sans Bachar al-Assad.

Une realpolitik digne de ce nom, c’est d’admettre que, s’il n’est pas une condition suffisante pour lutter efficacement contre le terrorisme, le départ de Bachar al-Assad est du moins une condition absolument nécessaire.

 

Premiers signataires

 

Joseph Bahout, Edith Bouvier, François Burgat, Jean Pierre Filiu, Vincent Geisser, Ziad Majed, Farouk Mardam Bey, Philippe Marlière, Olivier Monjin, Michel Morzières, Boris Najman, Pierre Tevanian, Dominique Vidal, Emmanuel Wallon

 

 

 

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