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4 mars 2018 7 04 /03 /mars /2018 15:34

 

 

http://www.lemonde.fr/politique/article/2018/03/03/les-debuts-tumultueux-du-media-insoumis_5265183_823448.html

 

Les coulisses de la crise du Média

 

L’éviction d’Aude Rossigneux a créé des remous et des doutes. Deux autres journalistes quittent la rédaction.

 

Par Ariane Chemin

 

Montreuil, métro ­Robespierre, Lundi 19 Février à 9 heures du matin, la journaliste Aude Rossigneux a été convoquée la veille par un mail lapidaire. Dans la cuisine du Média, au sous-sol des nouveaux locaux de la télévision proche du Mouvement de la France Insoumise (MFI), dos au réfrigérateur, elle cherche à comprendre l’objet de cette réunion un peu solennelle. De l’autre côté de la table en bois clair, trois hommes lui font face, le psychanalyste Gérard Miller et le réalisateur Henri Poulain accompagné de son directeur de production et associé Hervé Jacquet. À quelques tasses de café, enfin, la réalisatrice Anaïs Feuillette, la compagne de Gérard Miller et, tout au bout, Sophia Chikirou. 

« Comment dire tout cela », commence la directrice générale de la chaîne, avant de passer la parole au psychanalyste. L’ancien maoïste parle d’embarras, de mauvaise ambiance, de quelque chose qui s’est mal emmanché et de responsabilités partagées, avant de lâcher que « nous avons en tête de te parler de la possibilité que tu quittes la rédaction ». 

« Qu’est-ce qui s’est passé entre le moment où j’étais formidable et le moment où il faut que je dégage », interroge Aude Rossigneux, assommée. Elle ignore que le procès qui vient de s’ouvrir, Lundi 19 Février 2018, marque le début d’un coup de grisou sur le Média et qu’il va ouvrir une série de départs en cascade. Une semaine plus tard, Lundi 26 Février 2018, Noël Mamère, dont l’émission hebdomadaire était l’une des cautions d’ouverture de la chaîne, s’émeut de la mise à l’écart brutale de la journaliste, mais il s’inquiète aussi d’un sujet très décrié sur la Syrie, diffusé Vendredi 23 Février 2018, qui mettait dos à dos les rebelles islamistes syriens et les exactions du régime de Bachar al Assad. Vendredi 2 Mars 2018, selon les informations du Monde, Catherine Kirpach, une ancienne de La Chaîne Info (LCI) qui présentait l’un des journaux télévisés du ­Média, a fait part à son tour à Sophia Chikirou de son départ de la chaîne, tandis que la journaliste Léa Ducré nous confirmait Samedi 3 Mars 2018 avoir « mis fin à sa période d’essai ». 

Pour comprendre la crise qui se joue, il faut remonter au début du mois de janvier 2018, avant le lancement de la chaîne, Lundi 15 Janvier 2018. La web télévision alternative n’a alors pas encore diffusé d’images, mais elle vient de quitter l’incubateur de l’Antenne, qui l’hébergeait à Paris, pour investir l’ancien atelier de Montreuil réaménagé sur trois niveaux et pour accoucher du projet mûri depuis le printemps 2017. A l’époque, Jean Luc Mélenchon croît encore à sa victoire aux élections présidentielles et il rêve d’une émission pour expliquer son programme, comme en avait pris l’habitude Hugo Chavez chaque dimanche depuis 1999 au Venezuela. 

Après sa défaite au premier tour des élections présidentielles, le projet devient encore plus urgent. Le candidat n’a pas digéré la fameuse alliance bolivarienne que France Inter est allée chercher un matin dans les replis de son programme et il veut contourner d’urgence les médias dominants ou mainstream, comme on dit à Montreuil. Puisqu’il se retrouve dans l’opposition, le leader du MFI change de modèle et il copie les Young Turks, une chaîne qui a joué un rôle important dans la campagne de l’ancien candidat à l’investiture démocrate pour les élections présidentielles américaines, Bernie Sanders. 

Gérard Miller, qui a une maison de production et qui réalise régulièrement des documentaires pour les prime times de la troisième chaîne de la télévision française, dont l’un d’entre eux sur Jean Luc Mélenchon, à quatre mois du premier tour des élections présidentielles françaises de 2017, accepte de participer à l’aventure, comme Henri Poulain, qui a longtemps travaillé pour la Française des Jeux et qui a filmé par passion les happenings militants du mouvement des Nuits Debout. Sans oublier, évidemment, Sophia Chikirou, trente huit ans, qui a déjà un long passé dans la politique. 

Avant de devenir la communicante des campagnes de Jean Luc Mélenchon, la jeune femme a commencé à militer à Paris auprès du député socialiste Michel Charzat, son premier mentor, puis elle a passé quelques années auprès du libéral Jean Marie Bockel, le droitier du Parti Socialiste. Elle déclarait alors « soutenir la volonté de réforme de Nicolas Sarkozy ». Mais, depuis 2011, elle met son énergie et son intelligence au service du projet révolutionnaire de Jean Luc Mélenchon. 

Dès la fin de l’été 2017, Sophia Chikirou prend en main le projet de web télévision chargé de fédérer, autour des insoumis, toutes les sensibilités de gauche. Durant l’été 2017, elle contacte Aude Rossigneux, une journaliste passée par le Point, l'émission Mots Croisés de la deuxième chaîne de la télévision française, l’émission Ripostes de la cinquième chaîne de la télévision française ou le journal de Reporters Sans Frontières (RSF), et qui se dit clairement de gauche. Au début du mois de janvier 2018, elle signe un Contrat de travail à Durée Indéterminée (CDI) avec une période d’essai de quatre mois.

Le premier accroc a lieu le 3 janvier 2018, après les voeux du président de la république. Emmanuel Macron annonce une loi pour combattre les fake news et obliger le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA) à lutter dès 2018 « contre toute tentative de déstabilisation par des services de télévision contrôlés ou influencés par des états étrangers ». Sophia Chikirou et Aude Lancelin, ancienne directrice adjointe de la rédaction de l'Observateur qui a rejoint le Média pour s’entretenir en vidéo avec des intellectuels et mettre en ligne des tribunes, voient rouge. Pour elles, « le MFI est l’obsession de l’Elysée et le Média est clairement visé », assure Aude Lancelin aux plus jeunes qui pensent, eux, aux sites russes Spoutnik et Russia Today. Elles souhaitent que le Média réponde officiellement au chef de l'état. A Aude Rossigneux, qui trouve problématique de ferrailler comme des militants officiels, Sophia Chikirou répond sèchement que « si tu n’a pas compris ce qu’est le Média, un média engagé, il faut qu’on en parle sérieusement ».

La riposte du Média à Emmanuel Macron est mise en ligne quarante huit heures plus tard. La rédaction au complet défile sur la vidéo, y compris les récalcitrants. Faut-il y voir un lien ? Après l’épisode des voeux du président, Aude Rossigneux, nommée coordonnatrice de la rédaction sur la feuille de route initiale, passe ainsi, sans rechigner, à la présentation des journaux télévisés avec Catherine Kirpach, une ancienne de La Chaîne Info (LCI) qui se passionne pour les réfugiés et pour les migrants.

Étrange fonctionnement que celui du Média où, officiellement, le principe de management entre pairs est la règle, l’autogestion est de mise et où les chefs n’existent pas, mais où le comité de pilotage, les fondateurs qui ont participé au premier tour de table, intervient régulièrement, comme des actionnaires envahissants.

« Nous ne sommes pas actionnaires », s’insurge Gérard Miller de son hôtel de Val d’Isère, où il a passé sa semaine de vacances accroché à son téléphone, « j’ai cinq cent parts du Média à cinq euros pièce, je suis un socio comme les autres, tous propriétaires de notre télévision ».

Socios, c’est ainsi que le Média appelle ses associés donateurs, sur le modèle des grands clubs de football espagnols comme le Football Club de Barcelone.

« Vous êtes des journalistes engagés », enjoint souvent Sophia Chikirou à cette rédaction baroque. Au rez de chaussée, se côtoient un protestant évangélique et communiste qui collabore à la revue catholique et conservatrice Limite d’Eugénie Bastié, Kevin Victoire, et un youtubeur passé par le Figaro, Marc de Boni. 

À une étagère de distance, se trouve la jeune chargée de la communication externe du Média, Katerina Ryzhakova, surnommée Katyusha. Elle est l’épouse de Thomas Guénolé, ce politologue désormais à la tête de l’école de formation politique du MFI, et elle était jusqu’à l’été 2017 lobbyiste pour le groupe nucléaire Rosatom.

Tout ce petit monde échange sur la messagerie WhatsApp ou sur la plateforme de communication Slack. Le 27 janvier 2018, Sophia Chikirou explique ainsi qu’elle a été choquée par la façon dont a été traitée une information sur le Venezuela. La veille, Catherine Kirpach expliquait dans son journal que Nicolas Maduro repoussait la date des élections pour empêcher des candidatures de l’opposition et elle concluait par un « cherchez l’erreur » un peu ironique. Résultat, une précision imposée dans le journal télévisé suivant à la journaliste elle-même, en plateau.

Dimanche 18 février 2018, c’est encore la directrice générale, mais par mail, qui avertit Aude Rossigneux qu’elle est attendue Lundi 19 Février 2018 par le comité de pilotage, « je pense qu’il faut qu’on se voie Lundi 19 Février 2018. Peux-tu être au bureau à 9 heures du matin ». Mais cette fois, c’est une première, elle se rebiffe. Mardi 20 Février 2018, au lendemain de cette convocation brutale, elle écrit à l’équipe de direction que la brutalité dont elle estime avoir été victime « n’est pas exactement conforme à l’idée que chacun se fait d’un management de gauche » et qu'elle serait même « un sujet pour le Média si elle était le fait d’un Vincent Bolloré ». Sa lettre fuite.

Aussitôt, le Média envoie un mail dressant la liste des torts de l’ancienne présentatrice du journal télévisé de la chaîne à la petite communauté des socios. Le message est confidentiel, mais plus de quinze mille personnes en sont destinataires. Certains s’en émeuvent d’ailleurs. Le 28 Février 2018, un socio a porté plainte devant la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) contre « le procédé totalement déplacé consistant à se servir d’une adresse électronique pour se justifier d’un conflit avec un salarié ».

Une autre rébellion, plus discrète, gronde quelques jours plus tard. De retour d’un arrêt maladie, Catherine Kirpach doit présenter le journal télévisé du 23 février 2018, où intervient un certain Claude El Khal, ancien publicitaire et réalisateur repéré sur Twitter et recruté par Sophia Chikirou pour en faire le correspondant au Liban de la chaîne. Il se trouve à Paris cette semaine et il hante les locaux, émettant devant la journaliste des doutes sur la véracité des images des massacres perpétrés dans la Ghouta orientale, en banlieue de Damas, jamais « vérifiées de manière indépendante ». Diplomate, Catherine Kirpach explique que la pneumonie dont elle souffre n’est pas encore guérie et elle ne s’affiche pas le soir sur le plateau aux côtés du fameux correspondant. Elle vient de démissionner sans revenir à Montreuil, où trois bureaux ont été ainsi abandonnés en quelques jours et où le code de la porte a été changé.

« Toute cette histoire montre que j’ai eu le tort de vouloir à tout prix rester journaliste, là où on attendait de moi que je sois militante », confie Aude Rossigneux aujourd’hui. « J’ai été aussi naïve de penser qu’au Média on respectait le droit du travail. On m’a essayée pendant cinq mois et demi dont un seul payé, sans indemnités. Bien joué, le comité de pilotage, il tire sa seule légitimité du contrôle de l’argent et il ne compte pas un seul titulaire de la carte de presse », ajoute la journaliste, qui a laissé son bureau de Montreuil vacant, comme depuis Vendredi 2 Mars 2018 ceux de Catherine Kirpach et de Lea Ducré.

À l’antenne, rien ne filtre. « Nous sommes Jeudi Premier Mars 2018, le 20 heures est toujours en liberté », a lancé Serge Faubert en présentant le journal, Jeudi Premier Mars 2018, quinze mille vues environ, la moyenne des journaux télévisés de la chaîne.

C’est beaucoup moins que les exercices d’éloquence d’Adrien Quatennens à l’assemblée nationale, les mercredis. C’est moins aussi que le bulletin de François Ruffin tourné en solo façon youtubeur, devant son réfrigérateur, trente mille vues en moyenne.

La chaîne du député insoumis compte trente neuf mille abonnés, contre quarante trois mille abonnés pour le Média. Mais, à voir les commentaires passionnés qui accompagnent le bulletin de François Ruffin, c’est plutôt dans la cuisine de François Ruffin que la gauche fait son buzz.

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