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24 janvier 2022 1 24 /01 /janvier /2022 18:03

 

 

https://blogs.mediapart.fr/jean-marc-b/blog/070418/11-avril-68-attentat-berlin-contre-rudi-dutschke

 

Jeudi 11 Avril 1968, attentat à Berlin contre Rudi Dutschke

Jeudi 11 Avril 1968, Rudi Dutschke, leader du mouvement étudiant et de la gauche révolutionnaire, est victime d'un attentat, suite à une campagne de presse du magnat Axel Springer. Les protestations embrasent l'Allemagne et elles suscitent une vague de protestation immense.

Jeudi 11 Avril 1968, au centre de Berlin, Rudi Dutschke s'apprête à pénétrer dans le siège de la Sozialistischer Deutscher Studentenbund (SDS), l'organisation étudiante dont il est un porte-parole remarquable. Josef Bachman, un jeune travailleur berlinois lui tire trois balles dans la tête. Rudi Dutschke est très grièvement blessé, il survit difficilement et il meurt au mois de décembre 1979 des séquelles neurologiques de la tentative d’assassinat. Cette même année, il avait participé à la création des Grünen.

Josef Bachman est arrêté le jour de l’attentat par la police allemande. Il a sur lui une photo de presse de la victime et un exemplaire de la feuille d’extrême-droite Nazional Zeitung. Alors qu’il est condamné à la prison pour sept ans, Rudi Dutschke prend contact avec son agresseur, lui explique qu'il n'a pas de ressentiment et tente de le convaincre de lutter pour le socialisme. Josef Bachmann se suicide en prison au mois de février 1970. Rudi Dutschke se reproche de ne pas lui avoir écrit plus fréquemment, « la lutte pour la libération vient juste de commencer. Malheureusement, Josef Bachmann ne pourra plus y participer ».

Vendredi 12 Avril 1968, les militants allemands désignent le responsable intellectuel, le magnat de la presse Axel Springer, dont les journaux sont déchaînés contre le mouvement étudiant et son leader. Le torchon à scandale Bild Zeitung, qui sévit toujours cinquante ans plus tard, venait de titrer qu’il fallait en finir avec Rudi Dutschke maintenant. Rudi Dutschke avait dénoncé la campagne du groupe de presse contre les étudiants en 1967, lors de l’assassinat de l'étudiant Benno Ohnesorg lors d'une manifestation contre le shah d’Iran.

La police recevait Vendredi 2 Juin 1967 à Berlin l’ordre de vider les rues et elle diffuse par radio un message selon lequel deux policiers avaient été agressés par des étudiants. C’est un mensonge qui conduit inévitablement à la violence.

Benno Ohnesorg, de la SDS, reçoit des coups terribles et tombe. Un autre policier arrive, sort son arme et le tue comme au bon vieux temps. Le maire de Berlin dénonce l’assassinat. Il est alors remplacé par un social-démocrate prête-nom. Le pouvoir est en fait à Berlin aux mains du sénateur chargé de l’intérieur, Kurt Neubauer, dénoncé par la SDS comme un national-socialiste, de fait situé pour le moins à l’extrême droite du parti social-démocrate allemand (SPD).

 L’attentat contre la vie de Rudi Dutschke déclenche une immense vague de manifestations en Allemagne qui fera deux morts et plusieurs centaines de blessés.  A Berlin, ils tentent de prendre d'assaut le siège des éditions d’Axel Springer, qu'ils accusent d'avoir attisé la haine de la population contre leur leader. Dans une trentaine de villes allemandes, les manifestations étudiantes tournent à l'affrontement avec les forces de l’ordre, connues comme les émeutes de Pâques. La répression est brutale et elle met un terme aux manifestations massives. La dernière a lieu à Bonn, Samedi 11 Mai 1968, et elle réunit une centaine de milliers des personnes.

En France, Samedi 13 Avril 1968, la Jeunesse Communiste Révolutionnaire (JCR) organise avec des libertaires une manifestation à Paris aux cris, comme en Allemagne, de « Springer assassin ».

Voici le récit de Daniel Bensaid, « nous parvint la nouvelle de l’attentat contre Rudi Dutschke, abattu par un tireur alors qu’il circulait à bicyclette dans les rues de Berlin. Il était dans le coma, entre la vie et la mort. Nous le revoyions, plein d’entrain, galvanisant la manifestation de Berlin pour le Vietnam. Avec les anars, nous sommes partis aussitôt manifester devant l’ambassade d’Allemagne. Le petit cortège rechignait à se disperser. Une consigne transmise de proche en proche fixa un nouveau rendez-vous Boulevard Saint Michel. La police voulut s’interposer. Son intervention mit la petite troupe en fureur. À l’angle de la Rue des Écoles, on fit projectile de tout, à la terrasse du Sélect Latin, verres, tasses, carafes, chaises et guéridons se mirent à voler. Les panneaux de signalisation furent renversés et les grilles de fonte furent arrachées au pied des arbres. C’était un de ces moments imprévisibles où la peur du képi et de la matraque s’évapore comme par enchantement. Nous nous sentions soudainement invulnérables. Nous ne comprenons qu’après coup ces signes imperceptibles qui annoncent un changement imminent du fond de l’air. La manifestation de Berlin apparaît ainsi à posteriori comme une sorte de prologue du mouvement du mois de mai 1968 et les échauffourées pascales du Quartier Latin apparaissent à posteriori comme la préfiguration des barricades de la Rue Gay-Lussac ».

Un bref reportage du journal télévisé du Samedi 13 Avril 1968 montre des images des manifestations de soutien d’Amsterdam et de Paris.

La mobilisation en solidarité avec les étudiants allemands est d’autant plus importante que les mouvements qui luttent contre la guerre du Vietnam et plus largement contre l’impérialisme ont tissé des liens dans toute l’Europe et singulièrement avec le SDS. La JCR et les étudiants du Parti Socialiste Unifié (PSU) viennent même de participer au Congrès International Vietnam à Berlin, comme le décrit un article précédent. Dans ce reportage alternent les mobilisations, notamment pour la victoire du Vietnam, et les interviews d'étudiants allemands dont trois s'expriment en français.

La naissance du SDS marque un tournant dans l’histoire de l’Allemagne. Hannah Arendt prédit même, dans une lettre à Karl Jaspers, que « les enfants du siècle prochain apprendront l’année 1968 comme nous avons appris l’année 1848 ».

La contestation des étudiants et des intellectuels allemands est nourrie par les théories de l’Ecole de Francfort. Max Horkheimer, Theodor Adorno et Herbert Marcuse notamment y ont développé une théorie du nazisme comme mutation du capitalisme, faute de son dépassement, et une critique du stalinisme, caricature du communisme.

Le contexte n’est pas celui du reste de l’Europe. Le SDS, c’est la génération née durant la guerre ou au lendemain qui découvre une Allemagne soumise aux Etats-Unis. Les jeunes allemands savent que leurs parents n’ont pas réussi à résister au fascisme, ou pire en étaient complices, et que cette démocratie factice sous occupation américaine est loin d’être un rempart au fascisme. D’où peut-être une volonté farouche de combattre qui conduira certains au terrorisme, comme d’autres, pour les mêmes raisons, en Italie.

Cette nouvelle gauche est essentiellement un mouvement étudiant, avec peu de soutien chez les travailleurs. Sur le front intérieur, elle se bat contre la société de consommation, l’autoritarisme, la morale hypocrite, le passé national-socialiste de bien des personnalités politiques et économiques, l’adoption de lois d’état d’urgence et bien sûr contre des institutions universitaires au service de l’accumulation capitaliste. Sur ce dernier point, il y a un reportage sur l’université critique de Berlin. « Tous parlent du temps, pas nous », proclame une célèbre affiche du SDS.

La nouvelle gauche allemande se bat aussi contre la guerre au Vietnam et l’impérialisme. « Les contradictions du capitalisme tardif, les étudiants antiautoritaires et leur rapport au tiers-monde » est le titre du principal texte de Rudi Dutschke en 1968.

La nouvelle gauche allemande se bat enfin contre la caricature de socialisme que constitue la République Démocratique Allemande (RDA) et le stalinisme en général. Rudi Dutschke défend une république des conseils, inspirée de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht. Dans un entretien avec Jacques Rupnik en 1978 à l'occasion du dixième anniversaire du mouvement du mois de mai 1968, il déclare que l'événement marquant de 1968 n'est pas Paris, dont il n’a pris connaissance des événements qu’à partir de son lit d’hôpital, mais Prague, où la tentative de rendre le socialisme davantage humain représente le contraire absolu de la ligne stalinienne défendue par la majorité de la gauche française.

Avant les années 1960, les étudiants allemands soutenaient l’union chrétienne démocrate d’Allemagne (CDU) et le SPD, dont les leaders étaient cooptés par les États-Unis. Le SDS, fondé en 1946, est l’organisation étudiante du SPD, chargé de former les cadres du SPD. Mais en 1959, avec l’adoption du programme de Bad Godesberg, le SPD ne se revendique plus comme parti ouvrier et il accentue sa politique de collaboration réformiste. Le SDS maintient au contraire son orientation socialiste et il continue sa campagne contre le réarmement de l’Allemagne et contre l’arme atomique. Il est exclu du SPD en 1960.

Le SDS devient alors la seule organisation d’opposition légale, le parti communiste allemand étant toujours interdit, rôle renforcé par l’entrée du SPD dans la grande coalition en 1966 avec la CDU.

Parallèlement, au début des années 1960 nait à Munich un groupe critique dit Subversive Aktion, issu du courant situationniste. Il pratique les happenings et les actions spectaculaires comme par exemple, le 5 mai 1964, lors d’un congrès de marketing, la distribution de tracts et la diffusion d’une composition musicale mélangeant la Passion de Saint Mathieu de Jean Sébastien Bach avec Surfin Bird des Trashmen. Son objectif est le développement d’une avant-garde culturelle.

En 1962, Rudi Dutschke fonde à Berlin avec Bernd Rabehl un groupe de la Subversive Aktion. Ce groupe de Berlin est différent. Il allie la provocation situationniste et un combat de classe, pratiquant l’action de masse anti-impérialiste et anticapitaliste. Le groupe intègre en 1964 la section berlinoise du SDS. Rudi Dutschke est élu membre du conseil politique du SDS.

Le 18 décembre 1964, Moïse Tschombé, président du Congo et commanditaire de l’assassinat de Patrice Lumumba, est en visite officielle. A Munich, la Subversive Aktion jette contre lui des fumigènes et des boules puantes. A Berlin, les manifestants enfoncent la protection policière, ils jettent des tomates et ils finissent par être brutalement dispersés. Le SDS rassemble alors environ trois mille personnes. Rudi Dutschke, venant de la Subversive Action, devient vite un de ses leaders.

La grande coalition de 1966 provoque la création d’une opposition syndicale. Elle est facilement canalisée entre 1967 et 1968. Par contre, le mouvement étudiant et le SDS continuent à se développer. Le gouvernement, pour le contrer, instaure un maccarthysme dans la fonction publique, l’interdiction professionnelle, et des lois d’exception contre les contestataires, votées à la fin de l’année 1967.

Les affrontements avec la police culminent le 4 novembre 1968 avec la Schlacht am Tegeler Weg, dont le bilan est de cent trente policiers et de vingt et un manifestants blessés. La devise est désormais de « casser ce qui vous casse ».

Mais le SDS regroupe des tendances trop opposées et il se dissout au mois de mars 1970. Des groupes locaux du SDS continuèrent à travailler isolément, comme à Heidelberg, jusqu'à l'interdiction de ces groupes, le 24 juin 1970. Le SDS est alors le terreau d’où naissent les courants de l’extrême-gauche et des Grünen en Allemagne.

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