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26 mars 2022 6 26 /03 /mars /2022 17:02

 

 

LIGNES DE FRONT

Samedi 26 Mars 2022

Vous trouverez ci-dessous la première partie d’un très long message de Patrick Silberstein relatif à la guerre de la Russie contre l’Ukraine. Le message est est disponible en totalité à l’adresse ci-dessous.

Bernard Fischer

 

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2022/03/26/solidarite-avec-la-resistance-des-ukrainien%c2%b7nes-retrait-immediat-et-sans-condition-des-troupes-russes-20/

Lignes de front

Par Patrick Silberstein

En complément de mon article publié dans le deuxième volume de Démocratie et Liberté pour les Peuples d’Ukraine, je livre ici quelques éléments d’information et d’analyse des lignes de front relevés dans diverses publications, afin d’aider à comprendre comment et pourquoi l’Ukraine en armes résiste à l’impérialisme russe et à son rouleau compresseur.

Les notes que je livre ont été prises en parcourant divers organes de presse. C'est pourquoi je fais largement usage de citations et de guillemets.

Ce sont bel et bien des commentaires et des analyses formulées par des milieux autorisés sujets à discussion.

Les experts en manipulations de mots et de concepts, les amis publics ou honteux du régime de Vladimir Poutine, les nostalgiques de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) ou encore les partisans d’une sorte de Munich diplomatique, pourront toujours souligner que les sources que j’utilise sont issues des milieux impérialistes. Je l’assume. Avec ces notes brutes de fonderie, j’espère contribuer ainsi à l’analyse concrète d’une situation concrète.

 La campagne russe initiale d’invasion et de conquête de l’Ukraine s’achève sans avoir atteint ses objectifs, en d’autres termes, elle est en train d’être vaincue. La guerre s’installe dans une situation d’impasse sur une grande partie du théâtre d’opération. Mais la guerre n’est pas terminée et il est peu probable qu’elle se termine bientôt. L’issue de la guerre n’est pas non plus claire. Les russes pourraient encore gagner, les ukrainiens pourraient gagner, la guerre pourrait s’étendre pour impliquer d’autres pays et elle pourrait se transformer en une version à plus grande échelle de l’impasse dans l’est de l’Ukraine qui avait persisté de 2014 jusqu’au début de l’invasion de la Russie, Jeudi 24 Février 2022.

L’échec de la campagne initiale de la Russie marque néanmoins une inflexion importante qui a des implications pour l’élaboration et l’exécution des stratégies militaires, économiques et politiques occidentales. L’occident doit continuer à fournir à l’Ukraine les armes dont elle a besoin pour se battre, mais il doit maintenant aussi élargir considérablement son aide afin de contribuer à maintenir l’Ukraine en vie en tant que pays, même dans des conditions d’impasse.

Les termes techniques d’impasse, de campagne et d’aboutissement, peuvent dérouter le lecteur non initié à la terminologie militaire. Cette note propose une explication de ces termes en se référant à des exemples historiques de la première et de la deuxième guerre mondiale, tout en reconnaissant que les analogies historiques sont toujours limitées.

Une campagne est une entreprise militaire majeure lancée dans le cadre d’un effort de guerre pour atteindre un ou plusieurs objectifs qui sont nécessaires mais pas nécessairement suffisants pour atteindre les buts de guerre généraux. L’invasion russe de l’Ukraine, qui a commencé il y a près d’un mois, était une telle entreprise. Ses objectifs, à savoir la prise de Kiev et des autres grandes villes ukrainiennes, s’inscrivaient dans le cadre d’un effort plus vaste visant à remplacer le gouvernement ukrainien, à détruire l’armée ukrainienne et à permettre à Vladimir Poutine de définir à sa guise les conditions politiques, économiques et sécuritaires du territoire ukrainien.

Il est utile de comparer la campagne initiale de Vladimir Poutine avec l’invasion allemande de l’URSS du mois de juin 1941. Les objectifs allemands étaient de s’emparer de Leningrad, de Moscou et de l’Ukraine, afin d’éliminer rapidement l’URSS de la guerre. Les allemands ont détruit d’énormes parties de l’armée soviétique, ils ont assiégé Leningrad et ils ont atteint les faubourgs de Moscou, puis la campagne a culminé à l’hiver 1941. Comme les russes en Ukraine en 2022, les allemands en 1941 ont continué à essayer d’obtenir plus de puissance de combat au front et à lancer des attaques de plus en plus désespérées contre Moscou, bien au-delà du point de rendement décroissant, ce qui est un signe qu’une campagne a atteint son point culminant. Les allemands n’ont réussi à prendre aucun de leurs objectifs.

La campagne allemande a culminé avec le siège de Leningrad qui a duré pendant près de neuf cent jours. Mais la campagne de 1941 a été incontestablement défaite, la guerre allemande est devenue une guerre défensive et les soviétiques ont lancé une contre-offensive, puis les allemands ont lancé une nouvelle campagne en 1942 qui a culminé à Stalingrad. Leningrad est restée assiégée pendant tout ce temps. Une campagne peut donc se terminer avec une grande ville assiégée, une ville beaucoup plus grande que Marioupol, par exemple, la guerre n’est pas terminée, les deux camps se battent et pourtant la campagne peut avoir échoué. C’est la situation à laquelle les russes sont probablement confrontés en Ukraine, mais les allemands avaient encore une chance de l’emporter en 1942.

L’impasse décrit une situation de guerre dans laquelle aucun des deux camps ne peut changer radicalement les lignes de front, quels que soient ses efforts. La première guerre mondiale a incarné l’impasse qui a donné lieu à des combats très durs avec de nombreuses pertes des deux côtés. Les lignes de front sont devenues généralement, mais pas complètement, statiques, avec très peu de mouvement. Il y a toujours eu un certain mouvement des lignes, mais jamais assez pour changer matériellement la situation.

L’impasse implique souvent des batailles importantes et sanglantes. Les batailles de la Somme, de Verdun et de Passchendaele se sont déroulées dans des conditions d’impasse. Des centaines de milliers de personnes ont été tuées dans ces batailles qui ont fait bouger un peu, mais pas beaucoup, les lignes de front et les impasses peuvent finalement être brisées, comme celles de la première guerre mondiale. Un camp ou l’autre peut perdre sa volonté. L’un ou l’autre camp peut gagner un nouvel allié, comme les États-Unis pendant la première guerre mondiale. L’un ou l’autre camp peut acquérir un avantage technologique. L’un ou l’autre camp peut tout simplement être écrasé et s’effondrer, comme la Russie en 1917. Beaucoup de choses peuvent se produire dans des situations d’impasse. C’est le scénario le plus probable que nous voyons actuellement en Ukraine.

Notre évaluation est que la campagne russe a atteint son point culminant et que des conditions d’impasse sont en train d’émerger. Les russes n’ont pas la capacité d’apporter une grande puissance de combat efficace dans un court laps de temps. Les types de mobilisations dans lesquelles les russes s’engagent ne généreront une nouvelle puissance de combat que dans plusieurs mois au plus tôt. À moins que quelque chose de remarquable ne vienne briser l’impasse dans laquelle nous nous trouvons actuellement, l’impasse risque de durer des mois, d’où notre évaluation et nos prévisions.

Bien sûr, nous pouvons nous tromper. Que pourrait-il se passer pour que ce soit le cas ? Les ukrainiens pourraient s’effondrer. Ils pourraient manquer de matériaux essentiels ou de volonté. Cela semble peu probable. Les russes pourraient trouver le moyen de rassembler une force mécanisée efficace suffisamment importante pour encercler Kiev, isoler Zaporizhiya et Dnipro ou percer les lignes de défense ukrainiennes et prendre Kiev d’assaut. Notre évaluation est que les russes n’ont pas la capacité de le faire, mais nous pourrions nous tromper, les russes pourraient trouver un moyen de constituer une force mécanisée nouvelle et efficace à grande échelle et rapidement, puis modifier complètement l’approche qu’ils ont adoptée et lancer une campagne mécanisée soudaine et décisive.

Les russes pourraient rassembler suffisamment d’artillerie, de missiles et de puissance aérienne pour détruire les forces ukrainiennes qui défendent Kiev et d’autres grandes villes, ce qui permettrait aux forces russes affaiblies de reprendre l’initiative et d’atteindre leurs objectifs. C’est la façon la plus probable dont notre évaluation pourrait être faussée, mais cela reste peu probable. Les russes montrent de nombreuses limites dans leur capacité à masser les tirs et les effets de l’aviation, de l’artillerie, des missiles et des roquettes, et ils souffrent notamment de problèmes évidents et graves de logistique et de production qu’il est peu probable qu’ils puissent résoudre rapidement. Il est très difficile, en outre, d’obtenir des effets décisifs par la puissance de feu de manière à compenser la faiblesse des forces mécanisées russes face à un adversaire aussi déterminé que les ukrainiens.

Les options susmentionnées signifieraient que notre jugement selon lequel cette campagne russe a atteint son point culminant était erroné. Nous sommes constamment à l’affût d’indicateurs indiquant que l’une ou l’autre de ces options est susceptible de se réaliser, nous en ferons état et nous modifierons notre évaluation, si nous les observons.

Nous avons publié notre évaluation selon laquelle la campagne russe a culminé parce qu’elle a des implications importantes et urgentes pour la politique occidentale. Si notre évaluation est correcte, l’occident doit accroître ses efforts pour fournir à l’Ukraine tous les matériaux dont elle aura besoin pour survivre en tant que pays et pour continuer à se battre dans des conditions d’impasse et de siège, qui seront brutales.

L’occident devra aider l’Ukraine à stabiliser une économie fonctionnelle dans son territoire non occupé, capable de survivre même sous une attaque russe constante. Il devra aller au-delà de l’effort, opportunément précipité, visant à fournir des systèmes défensifs spécifiques haut de gamme aux soldats ukrainiens et il devra penser au problème plus vaste de la survie de l’Ukraine et des ukrainiens au cours d’une longue guerre.

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