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14 avril 2024 7 14 /04 /avril /2024 14:56

 

 

https://www.revolutionpermanente.fr/Manifestations-en-Jordanie-Israel-menace-le-gouvernement-reprime

 

Manifestations en Jordanie, Israël menace et le gouvernement réprime

Les mobilisations se poursuivent à Amman où des milliers de jordaniens manifestent chaque soir devant l’ambassade israélienne. L’annonce des exigences de l’état colonial pour le renouvellement des accords sur l’eau a nourri la colère populaire tandis que la monarchie réprime violemment le mouvement.

Jeudi 11 Avril 2024

Depuis plus de trois semaines, des dizaines de milliers de manifestants prennent les rues d’Amman et manifestent devant l’ambassade israélienne, désaffectée depuis le rappel de l’ambassadeur à Tel-Aviv, au mois d’octobre 2023. Ni les déclarations cosmétiques de la monarchie ni les largages humanitaires ne suffisent plus à calmer les jordaniens qui demandent l’abrogation du traité de paix signé entre Israël et la Jordanie en 1994. Au cœur de la colère populaire, les manifestants visent également le pont terrestre, mis en place par la Jordanie, l’Egypte, l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis (EAU), pour acheminer des marchandises vers Israël en contournant le blocus de la route maritime de la Mer Rouge par les houthis. Si les autorités jordaniennes ne se sont pas encore exprimées sur le sujet, la récente proposition de Yoav Gallant de confier la sécurité de Gaza à une coalition arabe à laquelle la Jordanie participerait, risque d’attiser encore davantage la colère populaire.

Dénonçant également les exportations fruitières à destination d’Israël, les jordaniens remettent aussi en cause les accords énergétiques avec Israël, l’état colonial contrôlant une partie des voies d’accès à l’eau du pays tandis que la monarchie importe du gaz israélien. Alors que le contrat sur l’eau s’achève au mois de mai 2024, Israël conditionne son renouvellement à la satisfaction de certaines clauses. Selon certains médias israéliens, le gouvernement de Benjamin Netanyahou aurait exigé de la Jordanie qu’elle rétablisse des relations diplomatiques normales avec Israël et qu’elle cesse d’émettre des déclarations hostiles contre la politique du gouvernement israélien d’extrême-droite.

L’annonce des conditions israéliennes a aiguillonné les manifestations et elle a soulevé une vague d’indignation dans le pays. Hicham, qui manifestait ce week-end à Amman, juge que « cet accord nuirait à la souveraineté jordanienne et placerait tous les jordaniens sous le contrôle et le chantage d’Israël, surtout avec la présence de ce gouvernement d’extrême-droite ». Portant des revendications radicales, les manifestants demandent la fin des relations diplomatiques avec Israël et l’arrêt de la normalisation.

Trois semaines après le début des mobilisations, la rue continue de faire entendre sa voix. Alors que la monarchie réprime toujours plus violemment les manifestants, suscitant les inquiétudes d’Amnesty International, les idéologues du pouvoir parcourent les plateaux des chaînes de télévision des émirats du Golfe pour discréditer les manifestants, de crainte que la colère ne s’étende à d’autres pays. Certains commentateurs jordaniens n’hésitent pas à comparer les manifestations aux évènements du Septembre Noir de 1970, pendant lesquels la monarchie avait envoyé l’armée pour écraser les forces de la résistance palestinienne qui avait construit un vaste appareil parallèle de gouvernement au sein du pays. N’hésitant pas à qualifier les palestiniens réfugiés en Jordanie d’invités maléfiques, l’appareil médiatique de la monarchie tente de gagner la bataille de l’information contre les manifestants.

Le pouvoir jordanien accuse le Hamas et l’Iran d’être les instigateurs secrets du mouvement et il leur attribue le dessein de déstabiliser la monarchie et de tourner la rue contre le roi. L’ancien ministre de l’information a déclaré que le parti nationaliste palestinien manipulait les manifestations pour envoyer un message et pour montrer qu’il peut influencer voire conduire la rue jordanienne. La situation sert également l’Iran qui n’a jamais été capable d’exercer la moindre influence politique en Jordanie. Alors que certains chants de soutien au Hamas ont été entendus lors des manifestations, le pouvoir entend criminaliser le mouvement et il ressuscite le vieil argument des autocrates sunnites contre l’influence des chiites dans la société, « la sécurité jordanienne est chargée de protéger les manifestants et de garantir leur sécurité, mais le problème vient de ceux qui menacent la sécurité nationale et qui animent les manifestations avec des chants inacceptables ».

Si les responsables proches des Frères Musulmans, comme Murad al-Adayleh, secrétaire générale du Front de l’Action Islamique (FAI), démentent toute ingérence extérieure, le Hamas espère, indéniablement, que la situation catastrophique à Gaza réveille le monde arabe, sans pour autant souhaiter le renversement des bourgeoisies arabes et des monarchies réactionnaires de la région. Si l’organisation soutient le mouvement de masse en Jordanie, c’est en grande partie pour conserver ses relations régionales, en donnant à voir la force du soutien populaire à la cause palestinienne, et pour faire pression contre les leaders arabes et leurs alliés impérialistes lors des négociations à venir sur l’avenir de Gaza.

Comme l’explique Amer al-Sabaileh, analyste géopolitique jordanien, le mouvement tente de régionaliser la cause palestinienne, « les manifestations en Jordanie prennent maintenant une nouvelle dimension par les appels à envahir ou à assiéger l’ambassade israélienne. Ces aspects sont nouveaux et ils peuvent être clairement liés aux appels lancés par les leaders du Hamas pour mobiliser la population jordanienne et pour la pousser dans les rues. Les Frères Musulmans veulent également tirer parti de cette situation avant les prochaines élections jordaniennes, qui devraient avoir lieu dans environ cinq mois. En Jordanie, nous sentons l’impact de la situation régionale. Le Hamas craint que l’opération de Rafah ne marque sa fin. Le Hamas pense que l’escalade de la situation maintenant et que la pression contre un pays comme la Jordanie, qui est un allié de Washington et de l’Occident, pourrait être la meilleure recette pour mettre davantage de pression contre Israël et les Etats-Unis et les pousser à un accord politique ».

La marge de manœuvre de la monarchie est très faible. Dépendant d’Israël pour son approvisionnement énergétique et son accès à l’eau, la monarchie ne souhaite pas se couper de l’état colonial. Alors que les manifestants demandent l’abrogation du traité de paix israélo-jordanien de 1994 et que les manifestations grandissent, rassemblant chaque soir des milliers voire des dizaines de milliers de jordaniens, la monarchie fait le choix de la répression.

Depuis le 7 octobre 2023, les autorités ont procédé à mille cinq cent arrestations, dont cinq cent arrestations depuis le début des manifestations. Les autorités privent les détenus de défense et détiennent administrativement, d’après Amnesty International, au moins vingt et un manifestants. Les autorités ont également interdit les drapeaux palestiniens lors des manifestations et certains slogans. Un couvre-feu a été mis en place à Amman, imposé chaque soir à partir de minuit. La répression touche également les contenus numériques. Une vingtaine de jordaniens ont ainsi été poursuivis pour des publications sur les réseaux sociaux, grâce à la loi sur la cybercriminalité qui bâillonne les journalistes et les opposants politiques.

Qu’un pays dont soixante pour cent de la population est d’origine palestinienne et qui compte près de deux millions de résidents palestiniens sur son territoire interdise le drapeau palestinien témoigne du degré de fébrilité de la monarchie qui a signé, dans une tentative désespérée pour se racheter aux yeux de l’opinion jordanienne, une tribune hypocrite appelant à un cessez-le-feu à Gaza, aux côtés d’Emmanuel Macron et d’Abdel Fattah al Sissi, qui maintient également une ferme censure sur le débat public égyptien.

Comme le note encore Amer al-Sabaileh, craignant que les mobilisations ne prennent encore plus d’ampleur, « les manifestations et protestations en interne en Jordanie exercent donc une pression supplémentaire sur le pays, qui fait déjà face à des difficultés économiques et d’autres crises. Par conséquent, le risque de déstabilisation augmente et il faut que les autorités jordaniennes y soient attentives. La situation est encore sous contrôle mais les échauffourées continues avec la police pourraient créer une déstabilisation ». Analysant la situation du point de vue du pouvoir, Amer al-Sabaileh trahit les peurs des élites jordaniennes que leurs compromissions avec l’état colonial ont rendu illégitimes aux yeux du peuple jordanien.

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