Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
17 juin 2012 7 17 /06 /juin /2012 15:37

 

http://www.liberation.fr/monde/2012/06/11/a-gaza-le-centre-culturel-francais-pousse-les-murs_825484

 

A Gaza, le centre culturel français pousse les murs

 

Lundi 11 Juin 2012

 

Exposition, concerts. Dans un territoire soumis au Hamas et au blocus israélien, l’institution française, unique en son genre, est devenu un havre rare.

 

Par Sylvie Briet, envoyée spéciale dans la bande de Gaza

 

Dans le quartier chic de Gaza City, s’ouvre la Sharl Degoul Street. Il faut quelques instants pour comprendre que cette transcription inattendue rend hommage à l’homme qui libéra la France… Dans cette rue, face à l’ancien palais présidentiel de Yasser Arafat, une vingtaine d’ouvriers coulent du béton : le chantier du nouveau centre culturel français (CCF) avance à toute allure en dépit des coupures d’électricité et de la pénurie d’essence. Le précédent était devenu trop petit pour accueillir les activités culturelles qu’entend y développer la France.

 

Dans un territoire pris en étau entre le blocus israélien et le régime du Hamas, le projet réussit la prouesse d’avoir rallié l’accord des deux ennemis. La France est le seul pays au monde à avoir un centre culturel à Gaza, et son directeur, Jean Mathiot, est le seul étranger vivant sur place avec un statut diplomatique. «Mais le centre n’est pas une représentation diplomatique», précise tout de suite le consul de France à Jérusalem, puisque Paris n’a pas de contact avec le Hamas. C’est au prix de telles contorsions que le CCF réussit à se maintenir depuis son ouverture en 1982, et à s’agrandir à présent.

 

En 2006, l’Autorité palestinienne a donné à la France un terrain de 2 000 m2 en plein cœur de la ville pour y construire son nouveau centre culturel, à quelques centaines de mètres de l’ancien. Un ultime geste en souvenir de l’amitié qui liait Jacques Chirac et Yasser Arafat. Mais en 2007, le Hamas prend le contrôle de la bande de Gaza. Israël instaure un blocus.

 

L’importation des matériaux de construction est interdite. Les Français se refusent à faire transiter ciments et parpaings par les tunnels creusés clandestinement entre Gaza et l’Egypte et par lesquels arrivent un grand nombre de marchandises. Des discussions s’engagent avec Israël. La France fait valoir que le blocus est contre-productif, que le centre culturel français diffuse à Gaza les valeurs de la paix et des droits de l’homme. En 2011, les Israéliens donnent leur feu vert. Quelques jours avant Noël, le chantier est lancé.

 

Une entreprise à haut risque. Le British Council (le centre culturel britannique) a brûlé en 2006, représailles des Palestiniens qui soupçonnaient les services secrets britanniques d’avoir aidé les Israéliens à attaquer la prison de Jéricho en Cisjordanie . Il n’a jamais rouvert.

 

Quant au centre culturel français, il a résisté à toutes les opérations israéliennes, aux noms les plus évocateurs : «Arc-en-ciel» en 2004, «Pluie d’été» en 2006, «Plomb durci» en 2009. Et il survit en respectant autant que faire se peut les règles du Hamas : «Nous offrons un espace de mixité, de dialogue et d’enseignement du français dans les limites imposées par la situation locale et par le blocus», résume diplomatiquement Frédéric Desagneaux, le consul de France à Jérusalem. Parfois, les tensions sont fortes. En  2010, la Commission européenne contraint Eutelsat, dont le siège est en France, à arrêter la diffusion de la chaîne du Hamas, al Aqsa.

 

A Gaza, la décision est perçue comme venant de Paris. Pendant plusieurs jours, les militants du Hamas manifestent devant le centre culturel français avec du ruban adhésif sur la bouche pour protester contre la censure.

 

Artistes interdits d’entrée de Gaza

 

Actuellement, le CCF occupe une jolie villa, au milieu d’un jardin, havre de paix. Etudiants, professeurs, visiteurs s’y retrouvent, discutent autour d’un café, à l’ombre d’une tonnelle.

 

Chaque année, six cent élèves y prennent des cours de français. Dans le hall, se tient une exposition sur le thème «Un œil de Gaza sur la France» réalisée par les artistes locaux ayant séjourné à la Cité internationale des arts et qui en ont ramené des images de pigeons amoureux, de toits de Paris… Un calme trompeur.

 

Pour obtenir ce quotidien ordinaire, l’équipe déploie une énergie extraordinaire. Le directeur du CCF, Jean Mathiot, accepte des conditions de vie drastiques. Depuis l’assassinat de Vittorio Arrigoni, membre d’une ONG italienne, kidnappé le 14 avril 2011 et tué le lendemain, probablement par des salafistes, il ne peut se déplacer qu’en voiture blindée, avec des gardes du corps. Le soir, comme tous les habitants de Gaza, il doit grimper le plus souvent à pied les treize étages de la tour dans laquelle il habite et passe souvent des soirées monacales, faute d’électricité en continu. Quant à son travail, il tient du parcours du combattant.

 

Jean Mathiot met un point d’honneur à offrir aux Gazaouis une déclinaison de l’agenda culturel français : Fête de la musique, Nuit blanche, Festival du court métrage, Printemps des poètes, Journée de l’environnement… Mais le blocus israélien complique sérieusement l’offre culturelle. Les artistes invités à Gaza se retrouvent pour la plupart bloqués à Erez, seul point de passage entre l’Etat hébreu et Gaza. Des clowns, des conférenciers, des troupes de théâtre ont dû faire demi-tour. Et Jean Mathiot d’annoncer sur Internet à chaque fois : «Annulé». La raison ? «Ces jours-là, on se contente de nous indiquer que seuls les diplomates, les ONG et les journalistes sont autorisés à se rendre à Gaza.» Alors, le CCF s’est adapté. Il a développé le soutien à la création artistique locale, fournissant par exemple des toiles et de la peinture.

 

 « Pornographie occidentale »

 

De temps en temps, un miracle. Pour la Noël 2011, des musiciens de l’association palestinienne al Kamandjati ont pu quitter la Cisjordanie et traverser Israël afin de donner un concert de musique baroque dans l’église latine de la vieille ville de Gaza.  

 

«Elle était pleine à craquer, on leur a joué du Haendel, du Vivaldi. Peu de spectateurs connaissaient, mais ils aiment les instruments à cordes.» Il y a mille huit cent chrétiens à Gaza, dont deux cent de rite latin et mille six cent de rite orthodoxe.

 

Ces derniers mois, la tendance semble être à l’assouplissement, peut-être grâce à la libération du soldat israélien Gilad Shalit kidnappé à Gaza : trois jeunes Français du collectif Ebullitions ont pu donner le 4 mars un spectacle magique de bulles géantes.

 

Les relations avec le Hamas ne sont pas plus faciles. Les lignes rouges de son ordre moral sont, partout, mouvantes. Le moindre film ou documentaire destiné à être projeté au CCF est soumis à la censure qui ne vient pas forcément frapper là où on l’attend.

 

Comment deviner que Masho Matook, le film du Gazaoui Khalil al Mozayen, sélectionné à Cannes en 2011, allait poser des problèmes ? Le cinéaste y raconte son enfance dans les années 1970, sous l’occupation israélienne. Soudain, une jeune femme sans voile passe au milieu de soldats israéliens qui la sifflent. Le film a été censuré.

 

Motif invoqué : «Cette séquence déshonore la femme palestinienne.» Autre bête noire du Hamas, le rap, considéré comme de la «pornographie occidentale».Lors de la dernière Nuit blanche, un jeune rappeur devait interpréter deux titres. Tous ses copains étaient là. Un message est passé discrètement au directeur : le Hamas n’est pas d’accord. La soirée a tourné court. Lors d’une Fête de la musique, avec petits concerts dans le jardin du CCF rassemblant six cent personnes, le bruit a couru que des salafistes allaient jeter des grenades. Intox du Hamas que la musique insupporte ? Le directeur a préféré mettre un terme à la fête.

 

Certains jeunes trouvent le CCF trop prudent. Mais Jean Mathiot s’est fixé une règle : tout faire pour maintenir ce centre qui offre une ouverture sur l’étranger, un espoir de voyager un jour. Chaque année, une douzaine de boursiers, artistes ou universitaires sortent de leur étroit territoire grâce à l’entremise du CCF. Mohammed al Ajwari et Raed Issa, deux peintres qui animent la galerie gazouie Eltiqa, ont ainsi séjourné quatre mois à Paris. Depuis, ils ont été invités dans d’autres pays.

 

Malgré les pressions directes ou indirectes qu’il exerce sur le CCF, le Hamas le tolère d’autant mieux qu’il représente pour lui aussi une ouverture vers l’Europe. Le nouveau centre ne pourrait, d’ailleurs, se construire sans son aval. Les relations entre le pouvoir gazaoui et la France relèvent néanmoins d’un grand jeu d’hypocrisie, les Français ne parlant pas officiellement au Hamas.

 

Ainsi, pour mener à bien la mise en valeur du monastère byzantin de Saint-Hilarion, la France et l’Unesco ont signé une convention non pas avec les autorités locales, mais avec l’université islamique de Gaza. Une autre pourrait suivre, concernant les maisons mameloukes et ottomanes de la vieille ville. Ces belles demeures s’effondrent. Un riche homme d’affaires de Gaza, Jawdat al Khoudary, en a rénové deux à ses frais.

 

« Une bouteille à la mer »

 

Aujourd’hui, elles n’ont plus rien à envier aux ryads de luxe. Sauf que la clientèle n’existe pas. Un dynamique professeur d’architecture de l’université islamique de Gaza, Ahmed Mohaisen a remis en état trois maisons du centre-ville avec ses étudiants et très peu de moyens. Mais lorsqu’il est retourné sur les lieux en avril, le découragement l’a gagné : l’hiver a été froid et des habitants ont fait du feu dans les cours des maisons, bientôt transformées en décharges publiques. Une partie du travail est à refaire, avec l’aide de la France, espère-t-il.

 

«Le centre culturel français est devenu le principal entrepreneur culturel de la ville. La France a une longue histoire à Gaza, ayant compris très tôt la nécessité d’y travailler. Les autres pays sont venus dans la foulée des accords d’Oslo, en 1993, et sont repartis, explique Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences-Po, qui vient de publier une Histoire de Gaza. Les Français n’ont jamais quitté Gaza, même aux heures les plus dures, et cela, on le sait là-bas. Pour tous, le CCF est un espace de liberté.» Au point qu’il est devenu une source d’inspiration pour le cinéma : le film franco-israélien Une bouteille à la mer, sorti en France en février, racontait l’impossible histoire d’amour entre une jeune Française installée à Jérusalem et un jeune Gazaoui.

 

Plusieurs scènes ont pour décor le centre culturel français : le jeune Roméo y apprend le français, obtient une bourse et franchit pour la première fois de sa vie le point de contrôle d’Erez. L’équipe de tournage, elle, n’a pas pu y entrer et a filmé à Jaffa, le vieux quartier arabe de Tel-Aviv !

 

L’inauguration du nouveau centre est prévue à l’automne. Le niveau de la représentation diplomatique française envoyée aux festivités fera l’objet d’intenses tractations. Seule certitude, Une bouteille à la mer ne sera pas au programme : la scène montrant des militants du Hamas en train de tabasser un jeune ne passerait pas la censure.

Partager cet article
Repost0

commentaires