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28 mai 2010 5 28 /05 /mai /2010 19:20

 

http://www.socialisme-2010.fr/socialisme-maintenant/editoriaux.htm#lanson1305

Pourquoi un club politique, lieu indispensable à la réflexion politique ?

par Michel Lanson

Avertissement: notre camarade Michel a produit ce texte de réflexion sur notre club politique, après deux ans d’existence. Il a été largement soumis à la discussion lors de notre réunion du samedi 8 mai ; nous avons estimé qu’il pourrait servir de point de départ à un travail de réflexion collective qui pourrait se mener au sein d’une commission de militants de notre club aux fins d’élaborer un document d’identification politique. Ce texte est une invitation à nous autoriser à discuter sur des éléments d'analyse qui viennent d' horizons divers dont certains ne sont évoqués concrètement que pour montrer que des possibles sont ouverts à la réflexion. Il ne s'agit pas de défendre, voire d'épouser inocemment la position de l'un ou de l' autre . Il s'agit d'une invitation à nous autoriser à penser par nous mêmes et de repérer la "ritournelle" répétée parfois par inertie ou pour masquer un désarroi face à des situations
complexes ou nouvelles.

Pourquoi se poser cette question après deux ans d’existence ? Sans doute qu’avec le recul, le mélange des genres ( rencontres de militants et club de réflexion) est plus apparent. Une clarification s’impose.

Tout d’abord, contrairement à l’idée souvent répandue, un regroupement libre, indépendant et sans enjeu de pouvoir est rare. Le plus souvent, les clubs ou les regroupements autour de revue sont liés à des organisations ou des fractions politiques, think-tank à visée électorale ou groupes servant des stratégies universitaires (plans de carrière liés à des UFR ou enjeu de pouvoir symbolique), des prises de position dans des mouvances ou mouvements autocentrés. Un club où la parole est libre entre militants, analystes, actifs ou retraités d’univers et d’histoire divers, où les enjeux ne sont qu’intellectuels (chacun en faisant ensuite son miel dans la ruche de son choix) est rarissime. La tentation est toujours forte de faire d’un club un clone d’une organisation politique idéale parce que sans frottements à la réalité pratique de la lutte des classes. Il faut absolument y résister.

L’expérience de plusieurs années de responsabilité de direction militante et de fréquentation d’une forme antérieure de club m’a appris que la formulation politique en termes de mot d’ordre et d’action ne servait à rien (il est toujours facile de dérouler à vide un raisonnement qui n’est le plus souvent que la répétition par analogie d’un raisonnement antérieur). En revanche, un regard décentré,   l’approfondissement d’une analyse, une recherche théorique, un apport intellectuel sont des éléments indispensables pour la construction d’une pratique militante qui se définit dans le lieu, l’organisation ad hoc.

Un club, encore aujourd’hui, doit se définir plus en référence à ceux du XVIII° siècle, faiseur de lumières, qu’à une cellule, une section ou une loge. C’est aussi un lieu où peuvent être mises en analyse les pratiques militantes et les recherches théoriques d’aujourd’hui.
Concernant le discours politique « militant », à différencier bien sûr de la lutte de résistance dans le champ pratique de la lutte des classes, il renvoie inexorablement au concept de la « ritournelle » forgé par Deleuze et Guattari dans « Mille plateaux ». Ce discours s’enroule sur lui-même, la variation d’un de ses éléments lui permet de fonctionner et d’éviter d’être une simple répétition circulaire.

Cela fonctionne pour toutes les parties du discours. L’actualité politique et sociale, la périodicité des textes ou des réunions permettent des variations presque infinies. Pris indépendamment les uns des autres, les paradigmes ou notes sont généralement justes, encore faut-il qu’ils soient correctement contextualisés. Simplement, avec les mêmes notes, on peut créer Imagine ou refaire La danse des canards.

Cela permet de comprendre comment des cercles peuvent perdurer en se répétant depuis de longues années et comment des avatars d’organisations trotskystes peuvent répéter à l’envi : rupture avec le capital, non au dialogue social, grève générale, manif centrale… sans jamais se poser les questions : qui sommes-nous, à quel titre parlons-nous, à qui parlons-nous vraiment, quel est le levier politique ?

Sur d’autres airs, perdurent de même d’autres types d’organisations, même si en fonction de mon expérience, la ritournelle de cette famille me tinte immédiatement aux oreilles.

On peut aussi sérieusement, comme des papes, déclarer : «  l’auto-activité des travailleurs reste centrale » (AK/OS) sans voir que cette phrase n’a aucun contenu sémantique. Peu importe. Le discours politique est un discours purement narcissique, ce qui induit la répétition dans la pathologie, elle-même renforcée par l’isolement créé par la vertu révolutionnaire assimilée à l’idée pure du Bien de l’Humanité.

Mais ce système répétitif peut aussi se concevoir sur un temps long. Ainsi peut-on passer de l’enthousiasme de la création de syndicats, de partis…à la déception et aux comités pour le redressement de ces partis puis on recommence constatant à regret que l’écho dans les masses s’estompe vite ou ne résonne jamais. Ainsi, une période s’ouvre avec la rupture dans le PCI entre la Commission ouvrière et la direction pabliste. La musique persiste encore de nos jours : on peut constater que des organisations pétries de « lambertisme » se retrouvent dans le NPA pour tenter de le sauvegarder des dérives « pablistes » de la direction.  L’époque n’a-t-elle pas changée dans ses superstructures ?

La « ritournelle » est interrompue lorsque se produit une contraction du temps correspondant à un bouleversement politique majeur. Mais, ces moments sont rares.  Ensuite, une comptine avec une nouvelle tonalité se recompose. La dernière en date correspond en France à 95 avec ses variations autour du « Tous ensemble ».

Le discours sur la progression des luttes et sur les perspectives politiques semble épouser un temps linéaire et axé, ce qui lui donne un aspect dialectique. Pourtant, Derrida parlait, déjà en 1993 dans Spectres de Marx, du temps  qui semble être « sorti de ses gonds ». En réalité, le discours dominant est aujourd’hui calé sur une conception circulaire du temps (Deleuze, Bergson, le temps recherché et retrouvé Proust). Plus le discours se veut à gauche plus la vitesse de rotation s’accélère. La conséquence principale de ce mouvement tourbillonnant est le fait de  masquer et d’évacuer les recherches sur une nouvelle perception du réel et sur une pensée en phase avec le monde actuel. C’est cet aspect des choses qui est le plus important. On peut vivre en sifflotant une ritournelle mais cela n’agit jamais car cela n’a pas de prise au-delà des membres de la chorale.

Il s’agit d’aborder la nouvelle période avec sérieux. Depuis longtemps, nous écrivons que 1989 marque un changement de période. Mais, nous avons bien du mal à saisir les conséquences de ce changement. Aussi, le plus souvent, nous le mettons en préambule puis nous reformulons nos raisonnements comme d’habitude.

Razmig Keucheyan, dans Hémisphère gauche, une nouvelle cartographie des pensées critiques, écrit :

« Trois commencements 1789, 1914-1917, 1956 pour une seule fin, à savoir 1989. D’autres découpages sont possibles et peuvent se surimposer à ces premiers. »

Souvent, on a interprété les surimpositions (95,    élections diverses, crises financières, Grèce…) sans tenir compte du renversement capital opéré à ce moment politique. Or, si le temps long des Lumières, le temps séculaire de la Révolution socialiste, le temps actif de l’anti-stalinisme se ferment, toute notre pensée doit se retourner.

Dardot et Laval nous ont montré que le Néo-libéralisme n’est pas un simple développement du capitalisme mais bien une forme nouvelle de domination du Capital (réunion de février et « La Nouvelle Raison du Monde »).

C’est à partir du constat de la défaite que peuvent se construire de nouvelles pensées critiques et que peut être abordée « l’Hypothèse communiste ». Zizek parle de redescendre et de recommencer l’ascension en repartant du camp de base citant Lénine dans un texte sur la NEP (présentée souvent à tort par ses successeurs staliniens comme une pause). Cette métaphore montagnarde s’applique parfaitement à notre époque.

Alors, pourquoi faire comme si l’histoire avançait inexorablement toujours du même au même en suivant le bon vieux matérialisme historique (pour ne pas dire scientifique) ? La pression militante, l’absence de lieu pour une réflexion globale, les enjeux symboliques, personnels et psychiques… tout cela sûrement. Mais l’absence de club de réflexion, libre et protégé contribue à l’impossibilité de se remettre en question.

Nous avons déjà abordé ces problèmes, mais l’illusion de la vie a reformulé sa « ritournelle ». Nous n’avons pas eu le temps, le courage de reformuler la théorie à l’épreuve des faits.  Plus personne n’est soumis à la dictature de « Objectif /Résultat ». Pourtant cette « méthode » continue à structurer l’inconscient militant. Ainsi on tue le marxisme en ne voulant pas le mettre, se mettre en danger.

Pourtant, nous aurions bien besoin de frotter la crise européenne, la séquence grecque aux thèses de Naomi Klein, à l’Etat d’exception permanent d’Agamben, par exemple.  Pourquoi Sarkozy reste-t-il en place malgré tout ? Les réponses politiques produites sont d’une telle évidence qu’elles n’expliquent rien de neuf. Pourtant du côté de la critique, une part importante de la littérature se penche sur la question en commençant par Badiou : « De quoi Sarkozy est-il le nom ? ». 

Nous pourrions chercher pourquoi nous sommes passés le plus souvent de la classe ouvrière au salariat et dans le même temps pourquoi nous nous interrogeons vainement sur la disparition de la conscience de classe. Et bien, d’autres problèmes survolés (mondialisation financière et les pays émergeants en sortant des clichés…) ou refoulés (la liste ici est longue et délicate) …

Il faut du temps, des lectures, des rencontres. Il faut résister à l’anti-intellectualisme, à la pression de l’actualité et du mot d’ordre juste. Et prendre du plaisir déjà... 

   




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