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21 novembre 2014 5 21 /11 /novembre /2014 21:10

DISPUTAR LA DEMOCRACIA

Vous trouverez ci-dessous la première partie d’un long message de Ludovic Lamant relatif à Podemos. Ce message est disponible en totalité si vous consultez les sites de Mediapart et d’Ensemble aux adresses ci-dessous.

Bernard Fischer

https://www.ensemble-fdg.org/content/etat-espagnol-podemos-rinvente-lacclamation-spartiate-internet

http://www.mediapart.fr/journal/international/301014/podemos-ce-mouvement-qui-bouscule-lespagne

Podemos, ce mouvement qui bouscule l’Espagne

Par Ludovic Lamant

Jeudi 30 Octobre 2014

L'esprit des « indignés » a-t-il un avenir dans les urnes ? Podemos cherche à transformer le mouvement surgi des assemblées en Espagne en une machine électorale pour les législatives de 2015. Mêlant références à la gauche latino-américaine et à la social-démocratie des années 1980, la mue de Podemos, orchestrée par Pablo Iglesias, en surprend plus d'un, enquête à Madrid.

Pablo Iglesias est un fan de la série télé Game of Thrones. La figure du mouvement Podemos s’apprête à publier ces jours-ci à Madrid un livre qu’il a coordonné sur les « leçons politiques » à tirer de cette saga produite par Home Box-Office, récit de guerres civiles moyenâgeuses sous forte influence shakespearienne. Avec une certaine dose de provocation, le titre de l’ouvrage reflète assez bien l’état d’esprit qui règne parmi les « meneurs » de Podemos en cette fin d’année, « gagner ou mourir », aux éditions Akal.

Gagner ou mourir ? Appliquée au contexte espagnol très tendu, l’alternative devient, remporter les élections générales de novembre 2015, ou laisser s’effondrer le pays, ravagé par les politiques de la « caste » au pouvoir. « Nous vivons des temps de réorganisation systémique et si nous voulons livrer la bataille idéologique nécessaire pour aller jusqu’à gouverner, il faut miser sur le rajeunissement, la radicalisation et l’habileté à communiquer », écrit Pablo Iglesias, trente-six ans, dans un essai publié à la fin de l’été, « disputar la democracia », aux éditions Akal.

Surgi en janvier 2014, Podemos est devenu, à la surprise quasi générale, la quatrième force politique du pays, aux européennes de mai 2014, un million deux cent mille voix, huit pour cent des suffrages, cinq députés européens.

Depuis, la dynamique est de leur côté. Pablo Iglesias et ses lieutenants sont des invités réguliers des plateaux de télévision, où ils tempêtent contre la « caste » des vieux partis qu’ils jugent corrompus et responsables des vingt-quatre pour cent de chômeurs et chômeuses dans le pays. Des sondages les donnent désormais au coude à coude avec le PSOE, pour la deuxième place, devant les écolo-communistes d’Izquierda Unida, mais derrière le Parti Populaire. Le mouvement, qui veut « convertir l’indignation en changement politique », vient de franchir une étape clé. Au terme d’un congrès mouvementé, où deux projets se sont opposés, il s’est doté d’une organisation stable. Plus de quatre-vingt pour cent des cent douze mille espagnols qui ont voté sur le site de Podemos, pendant la semaine qu’a duré la consultation, ont soutenu la résolution défendue par Pablo Iglesias et son équipe, selon les résultats dévoilés lundi 27 octobre 2014.

C’est un succès majeur pour le professeur de science politique de l’université de Madrid, qui a fait ses gammes tout au long des années 2000 au sein de la Tuerka, émission de débat politique diffusée par Publico TV, « sa » chaîne de télévision indépendante diffusée sur internet, spécialisée dans les débats politiques. Pablo Iglesias devrait être élu haut la main, en novembre 2014, pour devenir le secrétaire général de Podemos, conformément à l’organigramme qu’il a lui-même mis au point. Mais l’homme a aussi pris le risque majeur de banaliser un mouvement dont l’ADN est celui de la démocratie directe, au nom de « l’efficacité politique ».

Son projet met sur pied un « conseil citoyen », censé exprimer la voix des « cercles », ces centaines d’assemblées qui forment la colonne vertébrale du mouvement, mais surtout un « conseil de coordination », un bureau d’une dizaine de personnes toutes désignées par le secrétaire général. Pendant le congrès, nombre d’activistes de base de Podemos ont critiqué une organisation trop verticale, qui donnera presque tous les pouvoirs à un seul homme et ses proches.

« Le projet de Pablo Iglesias fait un peu trop vieille politique, avec ce leader unique du parti, qui va pouvoir désigner ses conseillers à sa guise », commente Victor Alonso Rocafort, un sociologue passé par l’université Complutense de Madrid, qui suit Podemos depuis ses débuts. « Ils sont en train d’inventer une Sparte numérique. A Sparte, les dirigeants fixaient l’agenda, et les citoyens décidaient par acclamation. Podemos réinvente l’acclamation via internet. Mais il n’y aura pas de dialogue, de prise en compte au quotidien de l’avis de tous ces gens qui forment les cercles de Podemos ». L’universitaire redoute qu’une nouvelle « oligarchie » se forme, par-delà les discours sur la démocratie retrouvée.

Le projet concurrent à celui de Pablo Iglesias, rejeté par la majorité des votants, prévoyait une structure plus souple, avec trois porte-parole, et surtout une meilleure prise en compte des « cercles » dans les processus de décision. Il imaginait même l’introduction du tirage au sort, pour désigner une partie d’un « conseil citoyen ». Pablo Iglesias et ses alliés ont bataillé ferme contre ce projet, au nom d’un certain réalisme politique, pour gagner en « efficacité » d’ici aux élections de l’an prochain. En ouverture du congrès à Madrid, Pablo Iglesias eut cette formule définitive, qui a dû bousculer plus d’un « indigné » dans la salle, « ce n’est pas par consensus que l’on s’empare du ciel. On le prend d’assaut ». Le message lyrique, une référence à Karl Marx, était limpide, impossible, selon Pablo Iglesias, de remporter les élections de 2015, en continuant à pratiquer le « consensus », cette marque de fabrique des assemblées « indignées » de 2011, qui prend du temps et affadit parfois les positions les plus offensives.

Le combat du « peuple » contre la « caste »

Au fil des mois, Podemos s’est transformé en un objet politique étrange, pétri des contradictions qui affleuraient déjà sur les places d’Espagne il y a trois ans.

Le mouvement défend « l’horizontalisme » des assemblées mais recourt à un leader très médiatisé et tout-puissant. Son programme est ancré à gauche, Podemos appartient au groupe de la Gauche Unitaire Européenne au parlement européen, le même que celui du Front De Gauche et du PCF comme d’Izquierda Unida, mais le collectif se considère « ni de droite ni de gauche ». C’est un mouvement très identifié à une poignée d’universitaires à Madrid, mais il a fait son meilleur score électoral, en mai 2014 dans les Asturies, une province du nord-ouest (13,6 %). Il est facile de se perdre, tant les fausses pistes sont nombreuses. « Podemos rassemble des gens venus d’horizons très divers, qui partagent au moins trois convictions, le rejet absolu de la corruption, la nécessité d’appliquer d’autres politiques économiques à celles en place aujourd’hui, et le besoin de récupérer la politique pour les citoyens, alors qu’elle est aujourd’hui confisquée par une élite », clarifie Cesar Castañon Ares, un historien de vingt-sept ans, membre intégrant du « cercle » Podemos de Barcelone.

S’ils se gardent de la formuler haut et fort, Pablo Iglesias et ses proches ont une intuition, l’important n’est pas tant d’accompagner les mouvements sociaux qui secouent toute l’Espagne, ils ont déjà leur soutien, que d’aller séduire des classes populaires les plus dépolitisées du pays, ce vivier d’électeurs frappés par la crise, dégoûtés par la politique, et que Podemos estime être le seul capable de « récupérer ». C’est ici, selon eux, que se situe la majorité électorale, celle qui leur permettra de passer devant le Parti Populaire et le PSOE d’ici un an. De cette intuition découle une rhétorique musclée, qui renforce encore le leadership de Pablo Iglesias. Il n’est plus question d’un clivage entre la gauche et la droite, mais bien du « peuple » contre la « caste », un face-à-face qui rappelle le slogan « quatre-vingt-dix-neuf pour cent » contre « un pour cent » d’Occupy Wall Street.

Les expressions de « crise de régime » ou de « néo libéralisme », que Pablo Iglesias et ses proches ont théorisées à longueur d’émissions de la Tuerka, émission de télévision politique sur Publico TV, sont désormais bannies, jugées trop « académiques », elles sont laissées aux écolo-communistes d’Izquierda Unida. A l’inverse, Pablo Iglesias parle de plus en plus souvent de la « patrie espagnole », qu’il lie à la défense des services publics et à la souveraineté économique qu’il faudrait reconquérir. « Cela ne veut pas dire que le clivage entre la droite et la gauche n’existe plus. Mais le système d’opposition traditionnel entre la droite et la gauche issu de la transition, après la mort de Franco en 1975, a volé en éclats. Pendant des décennies, être de gauche, c’était voter pour le PSOE. Etre de droite, c’était voter pour le Parti Populaire. On est en train de dépasser cela », estime Cesar Castañon Ares.

Dans les discours de ses dirigeants, Podemos se risque à une alliance étonnante, entre un populisme assumé, venu des gauches latino-américaines, et des références issues des débuts de la social-démocratie européenne, en particulier sur le front économique. Ces croisements viennent de loin, ils ont été imaginés par plusieurs proches de Pablo Iglesias, tous passés par l’Amérique Latine, qui forment le noyau dur du mouvement.

Juan Carlos Monedero est l’une des figures les plus influentes du collectif. A cinquante et un ans, le « Mick Jagger de la science politique », comme il se fait appeler dans les émissions décontractées de la Tuerka, est le maître à penser de Pablo Iglesias. Il a conseillé au début des années 2000 le patron des écolo-communistes d’Izquierda Unida, Gaspar Llamazares, il a donné des cours dans de nombreux pays d’Amérique Latine et rêve aujourd’hui de s’emparer de la mairie de Madrid aux municipales de 2015, en surfant sur le succès de Podemos.

Son dernier essai, « leçon de politique dans l’urgence, à l’usage de gens décents », publié en 2013, en est à sa dixième édition. C’est un texte lyrique et foisonnant de références, Antonio Gramsci, Guy Debord, Jorge Semprun et Marcus Harvey, qui se présente comme une « boîte à outils subversive ».

Juan Carlos Monedero y passe surtout son temps à trucider la « vieille politique » espagnole, responsable d’avoir fait basculer le régime issu de la transition, de 1975 à 1978 ou 1982, selon les analyses, dans une forme de fascisme social. Les démocraties de basse intensité sont des régimes démocratiques, d’un point de vue formel, mais fascistes, d’un point de vue social ».

L’autre très proche de Pablo Iglesias est l’un de ses meilleurs amis, encore un homme, Iñigo Errejon, trente-deux ans. Pablo Iglesias et Inigo Errejon ont partagé, durant leurs études madrilènes, le même directeur de thèse. Inigo Errejon a consacré ses recherches au MAS, le parti socialiste créé par Evo Morales en Bolivie, et a vécu un temps à La Paz. Il travaillait comme politologue au Venezuela quand l’aventure Podemos l’a convaincu de revenir en Espagne. Il fut le concepteur de la campagne à succès des élections européennes de mai 2014.

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