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9 octobre 2020 5 09 /10 /octobre /2020 18:08

 

 

http://www.regards.fr/politique/article/covid-19-mais-ou-est-donc-passe-le-plan-massif-pour-l-hopital-promis-par-macron

 

Mais où est donc passé le plan massif pour l’hôpital promis par Emmanuel Macron ?

Par Loïc Le Clerc

Jeudi 8 Octobre 2020

Depuis la première vague et malgré le Ségur de la santé, l’hôpital public n’a pas plus de moyens, de lits et de personnels, au contraire.

25 mars 2020, la France est confinée. Elle ne le sait pas encore mais, en quelques semaines, le coronavirus va faire plus de trente mille victimes dans le pays. Emmanuel Macron se rend alors à Mulhouse, en visite à l’hôpital de campagne déployé en soutien pour faire face à l’afflux de malades. L’hôpital public est sous l’eau. Le président de la république se veut intransigeant.

Quelques jours seulement après son fameux discours du quoi qu’il en coûte, il annonce un plan massif pour l’hôpital, « l'engagement que je prends pour eux et pour la nation toute entière est que, à l’issue de cette crise, un plan massif d’investissement et de revalorisation de l’ensemble des carrières sera construit pour notre hôpital. C’est ce que nous leur devons et c’est ce que nous devons à la nation. Cette réponse sera profonde et dans la durée ».

À l’époque, peut-être étions-nous trop occupés à applaudir les soignants à 20 heures. Trop focalisés sur les manques criants de moyens, de masques et de tests, nous nous sommes retrouvés soudainement noyés sous les annonces qui suivirent cette crise. Depuis, nous dit-on, on teste à grande échelle. Depuis, tout le monde porte un masque, presque partout et tout le temps. Depuis, on ferme des bars, des restaurants, des salles de sports ou des piscines. Il faut serrer la vis pour éviter la deuxième vague, enfin, pour faire en sorte que les services hospitaliers encaissent le choc.

Et nous avons détourné notre attention de l’hôpital public. Qu’en est-il six mois plus tard ? Avons nous retenu les leçons du printemps et avons nous fait en sorte que l’hôpital public soit mieux préparé à une situation si extrême ? La réponse est, sans équivoque possible, non. C’est même tout le contraire.

Comparé à la première vague, la situation n’est pas la même, en plusieurs points. Pour ce qui concerne les soignants, d’un côté, ils connaissent mieux le coronavirus, donc leurs soins sont plus efficaces. D’un autre côté, ils sont épuisés, malmenés et méprisés et nombre d’entre eux ont préféré partir plutôt que de revivre une telle situation. « La situation est alarmante. Les hôpitaux font face à une pénurie grave de personnels, au point que nous voyons des lits se fermer dans des services où cela n’était jamais arrivé avant, simplement par manque de personnels. Ce n’est pas une volonté des directions pour le coup. Elles sont complètement démunies. C’est clairement pire qu’au moment de la première vague », constate Agnès Hartemann, responsable du service de diabétologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière.

Pour ce qui a trait à la situation sanitaire, si la crise n’est pas encore au niveau du mois d’avril 2020, les hospitalisations s’intensifient, Lundi 5 Octobre 2020, nous comptions plus de mille quatre cent patients du coronavirus en réanimation ou en soins intensifs, avec une nouveauté, un grand nombre de régions du territoire sont touchées par le coronavirus et pas seulement l’Île-de-France et le Grand-Est.

Conséquence, il y aura moins, voire pas de renfort possible d’une région à une autre. De plus, comme les gens ne sont pas confinés cette fois-ci, il faut également que l’hôpital soigne tout le monde, sans parler du retard à rattraper en terme de chimiothérapie, de greffe ou encore de chirurgie, causé par le confinement.

Nous avons donc un hôpital avec moins de moyens et moins de personnels qui doit à la fois gérer les affaires courantes et une nouvelle vague de coronavirus. Tout va bien.

Christophe Lannelongue, ce nom ne vous dit rien et, pourtant, on en a parlé au printemps dernier. Il était directeur de l’Agence Régionale de Santé (ARS) du Grand-Est et il avait fait notamment une déclaration en pleine crise selon laquelle « il n’y a pas de raison de remettre en cause le COPERMO pour le Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Nancy. La trajectoire reste la même ». Le COPERMO, c’est un plan de restructuration qui consistait à supprimer cent soixante-quatorze lits et cinq cent quatre-vingt-dix-huit emplois sur cinq ans. Pour avoir dit cela, Christophe Lannelongue a sauté. Il fut le fusible de la crise. Olivier Véran disait alors que « l'heure viendra de tirer les enseignements de cette crise sans précédent et de refonder notre hôpital. Tous les plans de réorganisation sont évidemment suspendus à la grande consultation qui suivra ». Ceci n’est pas un démenti.

Caroline Fiat, députée du Mouvement de la France Insoumise (MFI) et aide-soignante au CHU de Nancy, est bien placée pour nous parler du COPERMO, « Christophe Lannelongue n’a fait que dire la vérité, seulement, il l’a dite un peu trop fort et au mauvais moment. COPERMO ou pas COPERMO, c’est devenu une blague dans le Grand-Est. Ils n’ont pas arrêté de dire que le COPERMO est annulé, donc nous nous en réjouissons. En fait cela nous pend au nez, ils attendent juste le bon moment pour l’annoncer ». Une continuité politique qu’André Grimaldi, professeur de médecine à la Pitié-Salpêtrière, redoute aussi, « il n’y a pas de moratoire sur les projets hospitaliers qui fermaient des lits. Ce qu’on a reproché au directeur de l’ARS du Grand-Est, c’est d’avoir vendu la mèche trop tôt. Mais cela continue partout. Or, des lits, c’est du personnel. On ne forme pas une infirmière de réanimation en quinze jours, ou alors on fait de la médecine de guerre comme on a fait pour le coronavirus. Cela va une fois, mais ce n’est pas une solution. Il faut remettre en cause une politique qui est suivie depuis plus de dix ans ».

Cette situation déplorable, les soignants la dénoncent depuis plusieurs années. Rappelons que, avant la crise du coronavirus, les urgences du pays étaient en grève depuis une bonne année, dans une indifférence générale. Il faut être un ignare malhonnête pour feindre de découvrir que la rigueur budgétaire appliquée à l’hôpital est un grave problème de santé publique. Mais nous ne sommes jamais au bout de nos surprises.

Le 27 septembre 2020, Olivier Véran ose le commentaire suivant, « nous payons des années de sous-effectifs et de réduction des budgets. Je sais que les soignants sont fatigués ». Les tenants de l’austérité auraient-ils des pudeurs de gazelle à l’heure de constater le résultat de leur idéologie ? Pour rappel, rien qu’en 2019, ce sont trois mille cinq cent lits qui ont été fermés, cent mille lits en vingt ans et le point d’indice salariale des personnels de la fonction publique hospitalière est gelé depuis dix ans. Le 24 septembre 2020, au micro de France Inter, Philippe Juvin, chef des urgences de l'hôpital européen Georges-Pompidou et maire des Républicains de La Garenne-Colombes, s’insurge, « toutes ces mesures ne sont prises que dans le seul but qui est de faire en sorte de ne pas submerger le système de santé. C’est quand même assez incroyable que, huit mois après la crise, nous soyons dans un système dans lequel nous n'avons pas augmenté le nombre de lits de réanimation ou d’hospitalisation et dans lequel nous l'avons même réduit. Paradoxalement, au mois d’octobre 2020, nous risquons d’avoir moins de moyens hospitaliers à la disposition des malades du coronavirus qu’au mois de mars 2020 ».

Puis il y a eu le Ségur de la santé, incarnation concrète de la promesse massive d’Emmanuel Macron. Qu’en retenir, une augmentation de cent quatre-vingt-quatre euros pour le personnel non-médical. « Ce n'est pas négligeable », nous dit Agnès Hartemann, « car pour certains petits salaires d’aides-soignants cela peut être parfois dix pour cent d’augmentation ». Mais rien de plus, c'est insuffisant pour stopper l’hémorragie de personnels. Caroline Fiat le rappelle d’ailleurs, « en parallèle, on leur retire des moyens et des collègues tous les ans. Donc on est en train de leur dire qu'ils n'auront pas plus de moyens et de collègues et qu'ils vont continuer à maltraiter les patients et à souffrir au travail mais que, jusqu’au 20 du mois, ils n'auront pas à s'inquiéter, leur frigidaire sera plein. Voilà la politique d'Emmanuel Macron. Ce n’est pas ce que veulent les soignants. Gagner un peu plus, personne ne dit non en 2020, mais ils restent parmi les personnels soignants qui gagnent le moins de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE) ».

La création de quinze mille postes et l’ouverture de quatre mille lits, c’est de l’esbroufe, comme d’habitude, dit la députée du MFI, « en fait, il y a actuellement sept mille cinq cent postes vacants et Olivier Véran ne fait que les doubler. Au CHU de Nancy, j’ai quarante postes vacants, parce que désormais les gens préfèrent faire trois heures de voiture pour aller travailler au Luxembourg afin d’avoir un meilleur salaire et une qualité de vie au travail. Ils peuvent me doubler les postes vacants, qui vont ils mettre dessus ». Olivier Véran répond qu’il ne peut pas construire des unités de réanimation du jour au lendemain. Que faisait-il depuis le 11 mai 2020 ? Il est trop tard maintenant, les lits promis n’arriveront jamais à temps pour contrer la seconde vague. Alors il joue sur les chiffres. Par exemple, selon l’ARS de l’Ile de France, les services de réanimation de la région disposeraient de cent lits supplémentaires par rapport au printemps. Or, ces lits ne sont pas des créations, mais des emprunts à d’autres services, pendant la première vague, qui ne leur ont toujours pas été rendus. Même son de cloche chez Caroline Fiat, « nous avons moins de lits de réanimation qu’avant la première vague. Les fermetures ont continué. Mais les ARS disent que c’est faux, ils s’en sortent avec une pirouette. En fait, pour maintenir le nombre de lits en réanimation, ils ont fermé des lits d’hospitalisation ». Qui croire, l’ARS, qui dit que tout va mieux parce que c’est écrit dans leurs tableurs, ou bien les soignants qui disent que tout va de mal en pis parce qu’ils le constatent tous les jours au travail ?

« Nous nous demandons où est le plan massif », déplore Agnès Hartemann. Le seul plan consiste à attendre que l’orage passe, sans jamais rien anticiper. Que dire de cet article du Monde par lequel nous apprenons que les données de Santé Publique France (SPF) sont incomplètes et approximatives, sans parler du manque de transparence, laissant penser que le gouvernement navigue à vue ? « J’ai l’impression qu’ils jouent à la roulette-russe, nous prenons nos points faibles de la première vague, nous aggravons la situation et nous verrons ce que cela donne pour la deuxième vague », dit Caroline Fiat.

Alors que le couvercle de la marmite est sur le point de sauter, Emmanuel Macron, fidèle à lui-même, attise le feu, « ce n’est pas une question de moyens, c’est une question d’organisation ». De quoi indigner Agnès Hartemann, « il est complètement à côté de la réalité. C’est assez terrifiant. Ce n’est pas qu’un problème d’argent, c’est aussi un problème de conditions de travail. Dans quelles conditions va-t-on pouvoir soigner les patients dans les mois qui viennent ? Il va se prendre un boomerang dans la figure. Il n’a pas compris la réalité de la situation de ce mois d’octobre 2020 ». Est-ce si surprenant que cela, venant d’Emmanuel Macron ? Comme nous le rappelle André Grimaldi, « Édouard Philippe, qui était premier ministre à l’époque et qui a fait l’ouverture du Ségur, a dit que la crise exige non pas nécessairement de changer de cap, mais très certainement de changer de rythme. Donc pour lui, nous allons dans le bon sens mais il faut simplement desserrer un peu la vis ».

« C’est très difficile de savoir si leur attachement au service public est réel ou s’ils pensent que le privé va assurer tout cela », dit Agnès Hartemann, « ou alors, au mois de juin 2020, quand ils ont ouvert le Ségur de la santé, ils pensaient que c’était réglé, mais cela ne l’est pas du tout ».

Il faut se rendre à l’évidence, il n’y a pas et n’y aura jamais de plan massif pour l’hôpital public, tant qu’Emmanuel Macron sera président de la république. André Grimaldi ne mâche pas sa déception, « il y a eu le discours de Mulhouse et puis rien. Nous aurons eu un grand hymne à l’hôpital public pour accompagner sa dépouille au Panthéon. Après un grand incendie, quand tout a brûlé, repoussent des roses, mais il peut aussi pousser des ronces ».

Sauf qu’il va bien falloir gérer l’épidémie en cours et les malades qui arrivent aux urgences. Mais comment faire avec moins de moyens, donc, mais aussi moins de personnels ? Là encore, le gouvernement et ses bras armés vont réussir à s’y mettre jusqu’aux genoux. Ainsi, alors qu’Olivier Véran lance, solennel, l’appel selon lequel nous avons besoin de renforts, le directeur général de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris (APHP) Martin Hirsch prévient, il souhaite que certains soignants puissent renoncer à leurs vacances. C’est une bande de fainéants ingrats. Caroline Fiat ne décolère pas, « c’est impossible de demander aux soignants de se passer de leurs vacances. Nous avons besoin de nous reposer. Sinon, nous allons vite péter un câble. Vu les remerciements de la première fois, les intérimaires qui n’ont pas eu la prime par exemple, la fatigue accumulée, la peur du virus, ceux qui ont été malades et ceux qui ont ramené le virus à la maison, les soignants ne vont pas s’arrêter de soigner mais, s’il y a une deuxième vague, ils n’iront pas dans les services de réanimation du coronavirus. Ils vont rester dans leur service. Vous savez, les services de réanimation du coronavirus, au-delà de voir des malades dans un état dramatique et de la fatigue au travail, c’est toute une vie entre parenthèse, plus de câlin à ses enfants, plus de repas en famille et plus de vie conjugale, on dort sur le canapé ».

Aux dires de chacun, il est une chose redoutée et redoutable dont l’ombre grandit jour après jour, une sorte de grande désertion des soignants, provoquée par le système lui-même. « Si nous voulons que le personnel revienne, il faudrait une annonce extrêmement forte sur le service public, des augmentations de salaire et des améliorations des conditions de travail. Nous voulons travailler confortablement », explique Agnès Hartemann.

Mais pour l’heure, la dernière trouvaille pour désengorger les urgences serait d’instaurer un ticket modérateur forfaitaire et universel pour les passages aux urgences sans hospitalisation. Dans le podcast « au turbin », nous apprenons que seulement vingt-cinq à trente pour cent des arrivées aux urgences par jour amènent à une hospitalisation. Voilà tout ce à quoi nous aurons droit, austérité, rentabilité et compétitivité, au diable la santé.

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