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11 mai 2013 6 11 /05 /mai /2013 16:43

 

http://www.liberation.fr/monde/2013/05/09/une-mousse-blanche-leur-coulait-du-nez-et-de-la-bouche_901900

 

« Une mousse blanche leur coulait du nez et de la bouche »

 

Jeudi 9 Mai 2013

 

« Libération » a rencontré des victimes d’un bombardement dans la ville d’Alep, ainsi que des médecins à Afrin. Les symptômes décrits sont compatibles avec une attaque au gaz sarin.

 

Par Luc Mathieu, envoyé spécial de Libération à Alep et à Afrin

 

Yasser Yunis n’a pas vu mourir sa femme et ses deux fils. Il a juste entendu Sadiq, dix huit mois, suffoquer, incapable de respirer. Il a aussi aperçu sa femme à travers un nuage de fumée alors qu’elle tentait de s’enfuir avec Yahyah, cinq mois. « Elle titubait mais elle a réussi à sortir de la maison. Elle s’est écroulée juste après ». Chancelant, la vision brouillée, la gorge et le nez brûlants, Yasser Yunis a tenté de la rejoindre. Il n’a fait que quelques pas avant de tomber à son tour. « J’ai juste eu le temps de les voir, étendus dans la rue. J’ai rampé pour me rapprocher mais je me suis évanoui. Je ne me rappelle de rien d’autre jusqu’à mon réveil à l’hôpital ».

 

Que s’est-il passé le 13 avril peu après 3 heures du matin dans le quartier kurde de Cheikh Maqsoud, à Alep ? La maison de Yasser Yunis, un mécanicien arabe de 27 ans, a-t-elle été la cible d’une attaque à l’arme chimique ? Sa femme et ses deux fils ont-ils péri des suites d’une intoxication au gaz sarin ? Si oui, qui est responsable de cette attaque, qui a franchi la «ligne rouge» consistant à employer des armes chimiques en Syrie ? Le régime de Bachar al Assad, comme l’a sous-entendu Chuck Hagel, le secrétaire d’Etat américain à la défense ? Ou les rebelles, comme l’a affirmé lundi Carla Del Ponte, membre d’une commission d’enquête de l’ONU ?

 

Symptômes. Ces questions n’ont pas encore, et n’auront peut-être jamais, de réponses définitives. Mais les témoignages de victimes, de voisins accourus après l’explosion et de médecins qui les ont soignés fournissent des indices concordants, laissant penser que Yasser Yunis et sa famille ont bien été visés par une arme chimique. « Selon moi, cela ne fait aucun doute, il s’agit d’une attaque au gaz sarin. Les symptômes coïncident. Et plusieurs membres du personnel soignant on t également été contaminés alors qu’ils n’étaient pas sur le lieu de l’attaque. Cela n’arrive pas avec des armes conventionnelles », affirme Hassan Kawa, directeur de l’hôpital d’Afrin, où ont été traitées les victimes. Un chef de mission d’une ONG française, qui a envoyé une équipe à Afrin, est moins catégorique. « Les symptômes observés sur une vidéo sont compatibles avec une attaque au gaz sarin. Mais n’ayant pu examiner les corps, il est impossible de trancher ». Un expert français, contacté par « Libération », avoue lui aussi ne pas pouvoir émettre d’avis définitif. « Certains symptômes corroborent l’exposition à un agent neurotoxique tel le sarin, mais d’autres non. C’est d’autant plus difficile de trancher que des agents chimiques peuvent être combinés. Il est alors plus compliqué de les détecter et d’isoler les symptômes ».

 

Yasser Yunis, le mécanicien, n’a pas plus de réponse. « Le médecin qui m’a soigné m’a juste dit que c’était une attaque chimique, mais je ne sais pas quel produit a été utilisé », explique-t-il. En cette fin d’après-midi du premier mai, il revient de son travail, les mains noircies, le tee-shirt couvert de cambouis. Il habite toujours la même petite maison de plain-pied, au coin d’une ruelle au macadam troué de Cheikh Maqsoud. De l’attaque du 13 avril, il ne reste que des sacs de gravier qui se trouvaient sur le toit, où l’engin a explosé, et des bâches en plastique calcinées. « On a préféré y mettre le feu au cas où elles seraient contaminées. Sinon, on a tout lavé à grande eau. Il aurait mieux valu déménager, ou au moins acheter de nouveaux meubles, mais je n’ai pas les moyens » ajoute-t-il. Le jeune syrien semble méfiant, comme s’il craignait d’être repéré ou victime de représailles. Son quartier est resté à l’écart de la guerre jusqu’à la mi-mars, lorsque les Kurdes, majoritaires, ont décidé de se joindre à la rébellion contre le régime. Yasser Yunis ne combat pas avec eux, et n’a jamais participé aux défilés appelant à la chute de Bachar al-Assad.

 

Fumée. Le 13 avril, lorsqu’il est réveillé par une explosion vers 3 heures 30, il croit d’abord qu’un obus de char s’est abattu sur sa maison où dorment sa femme, ses deux fils et sa sœur. Il sort de sa chambre mais ne constate aucun dégât. « Je n’ai vu qu’une fumée blanche mêlée de poussière qui se déplaçait lentement ». L’air qu’il respire est sec, comme « tranchant ». Yasser Younis repart dans sa chambre et voit son fils d’un an et demi qui ne parvient plus à respirer. Il crie à sa femme de sortir, la voit prendre leur plus jeune fils dans ses bras, avancer de quelques mètres avant de laisser tomber l’enfant. Yasser Younis a juste le temps de dire à son frère d’aller aider leur sœur restée à l’intérieur, avant de sombrer dans l’inconscience.

 

« Je les ai vus tous les quatre, allongés ici », explique une voisine en pointant du doigt la rigole qui court au milieu de la chaussée. « Ils ne bougeaient plus et avaient comme de la mousse blanche qui leur coulait du nez et de la bouche ». Le frère de Yasser sort au même moment de la maison. Il n’y est resté que quelques minutes mais il ressent déjà des vertiges. Il s’évanouit.

 

« D’autres gens du quartier sont venus voir ce qui se passait. Certains avaient aussi des maux de tête et des étourdissements. Mon mari s’est senti mal, au bout de deux heures, il saignait du nez et a fini par s’évanouir. On a aussi retrouvé plusieurs cadavres de chats », poursuit la voisine. Sans attendre, des combattants kurdes emmènent les blessés à Afrin, à environ une heure de route. A proximité de la frontière turque, la ville est épargnée par les combats et fait figure de base pour le mouvement kurde syrien, proche du parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) turc.

 

Tests. Les vingt victimes seront toutes traitées dans un hôpital de fortune, créé il y a cinq mois. Sur des vidéos tournées à leur arrivée, on voit Yasser, yeux ouverts et pupilles fixes, de la mousse blanche autour du nez et au-dessus de la bouche. Sa femme est immobile, intubée. Un autre se gratte frénétiquement la tête. « Plusieurs avaient également des mouvements incontrôlés des bras et des jambes. C’est un symptôme d’une exposition à un gaz neurotoxique. Nous leur avons fait des injections d’atropine », explique Hassan Kawa. Dans les heures qui suivent, plusieurs membres de l’équipe médicale d’Afrin, dont Hassan Kawa, seront victimes d’étourdissements.

 

Certains resteront inconscients plusieurs heures. « La seule solution pour confirmer qu’il s’agit bien d’une attaque chimique serait d’effectuer des tests. Mais nous n’avons pas les moyens de les faire ici, nous n’avions même pas d’antidote pour les victimes », poursuit Hassan Kawa. Le médecin dit avoir contacté plusieurs organisations internationales dans les jours qui ont suivi l’attaque. « Aucune n’a répondu. Seuls des représentants d’une organisation américaine sont venus et ont récupéré des échantillons. J’ignore ce qu’ont donné les analyses, ni même si elles ont été faites ». 

 

Devant sa maison de Cheikh Maqsoud, Yasser Yunis répète qu’il « ne comprend rien à ce qui s’est passé. Pourquoi nous viser ? Il n’y a ni rebelle ni ligne de front ici ». Sa voisine, assise sur une chaise en plastique devant une échoppe vide, lève les bras au ciel en expliquant que Yasser Yunis a simplement manqué de chance. « C’est tombé sur sa maison mais ça aurait pu tomber sur la mienne. A mon avis, c’était un avertissement, une tentative pour nous faire peur et nous pousser à partir. L’armée syrienne veut reprendre le quartier. Je ne serais pas surprise si elle lançait une autre attaque chimique. Mais, cette fois, elle sera massive, conçue pour nous tuer tous ».

 

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