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15 avril 2020 3 15 /04 /avril /2020 15:46

 

 

LECONS D’ASIE ET DESASTRE FRANÇAIS

Pierre Rousset écrivait récemment un très long message relatif à l’épidémie actuelle de coronavirus. Vous trouverez ci-dessous la première partie de ce message. Le message est disponible en totalité si vous consultez le site Europe Solidaire Sans Frontières (ESSF) à l’adresse ci-dessous.

Bernard Fischer

 

http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article52862

Leçons d’Asie et désastre français

Par Pierre Rousset

Par facilité de langage, on entend souvent dire en Asie, mais l’Asie est si diverse que la formule est trompeuse. La pandémie et les politiques gouvernementales se présentent sous des formes particulièrement diverses suivant les pays. Cette diversité interdit toute généralisation, mais elle permet des comparaisons riches en leçons.

Dimanche 5 Avril 2020, le South China Morning Post annonçait que le débat sur les masques est clos. Hong Kong avait raison depuis le début. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) venait enfin de reconnaître que leur port était nécessaire pour lutter contre la pandémie. C’était une évidence niée trois mois durant par le gouvernement français.

La Corée du Sud est un important contre-exemple par rapport à la Chine, dont nous aurions bien fait de nous inspirer. Cela avait mal commencé. Des milliers de membres d’une secte évangélique, Shincheonj, sont revenus de Wuhan, où la pandémie a commencé, dans la région de Daegu, provoquant une explosion de contamination. Cela n’a pas empêché le pasteur fanatique Jeon Gwanghoon de déclarer qu’il n’y avait pas danger et que dieu protègerait les membres de son église. Le fonctionnement monolithique et secret de cette secte a considérablement entravé le travail d’investigation des autorités chargées de dépister la maladie. Le drame sud-coréen n’a pas empêché la secte évangélique française et charismatique de la Porte Ouverte Chrétienne (POC) de répéter le scénario à Mulhouse, du 17 février au 21 février 2020. Les mêmes causes ont produit les mêmes effets et le Haut-Rhin est devenu l’épicentre du pire foyer de contamination en France.

La pandémie s’est donc déclenchée en Corée du Sud avec une brutalité que nous n’avons pas connue si ce n’est, peut-être, dans le Grand Est français. Pourtant, l’épidémie reste là-bas maîtrisée avec dix mille deux cent quatre vingt quatre cas officiellement confirmés et cent quatre vingt sept morts à la date du Dimanche 5 Avril 2020. Le président Moon Jae In avait d’abord banalisé la situation, mais la riposte s’est rapidement organisée, production massive de tenues de protection, tests de dépistage, distribution généralisée de masques et imposition précoce des mesures de distance physique. Le dépistage systématique a permis de localiser rapidement de nombreux malades avant que des symptômes n’apparaissent, de les isoler et de rechercher qui avait pu être contaminé dans leur entourage.

La Corée du Sud a jusqu’à maintenant pu éviter le confinement de territoires ou du pays entier. Nul ne s’aventure cependant à faire des pronostics quant à l’évolution future de l’épidémie. Le pays peut avoir à faire face à une seconde vague de contamination mais, pour l’heure, il semble qu’il pourra éviter l’épineuse question du déconfinement, à la différence de la France.

Résumons. Comme le port de masques, les dépistages massifs sont essentiels. Une évidence niée trois mois durant par le gouvernement français, qui n’a pas non plus mobilisé dès le mois de janvier 2020 l’industrie pour reconstituer les stocks de tenues de protection, de matériel d’intubation ou de tests et passer sans attendre des commandes d’achat massives à l’étranger.

Il héritait certes d’une situation d’impréparation désastreuse, mais il était parfaitement au courant du problème. Jérôme Salomon, médecin infectiologue, est le Directeur Général de la Santé (DGS) depuis le mois de janvier 2018. Auparavant, devenu haut fonctionnaire, il avait intégré en 2001 le cabinet de Bernard Kouchner dans le pôle se sécurité sanitaire. Il a été conseiller, chargé de la sécurité sanitaire de 2013 à 2015, attaché à Marisol Touraine, ministre de la santé. Proche d’Emmanuel Macron, il devient son conseiller durant la campagne présidentielle et il le prévient que le système sanitaire français n’est pas préparé à faire face à une grave épidémie.

Jérôme Salomon sait donc tout du passé et du présent sanitaire de la France. Emmanuel Macron en est informé. La ministre de la santé de l’époque Agnès Buzin a avoué que le pouvoir était au courant, dès le mois de janvier 2020, qu’il fallait se préparer à une pandémie. Néanmoins, il court depuis derrière l’épidémie, accumulant ratés et retards en tous domaines. J’ai vécu toute l’histoire de la cinquième république. Je n’ai jamais connu de présidence et de gouvernement aussi incapables et lâches que maintenant.

Terrible paradoxe, la France était probablement l’un des pays occidentaux les mieux préparés à faire face à une épidémie. De très importants stocks préventifs de matériel et de vaccins, ainsi que des plans d’action en cas d’épidémie avaient été constitués sous l’impulsion, notamment, de Roselyne Bachelot et de Xavier Bertrand. Ce dernier a cependant amorcé leur réduction. Ils ont cessé d’être renouvelés, puis ils ont été liquidés sous Marisol Touraine et la présidence de François Hollande, distribués aux hôpitaux et aux entreprises, à charge pour eux de les entretenir sans budget assigné. La présidence d'Emmanuel Macron a maintenu le même cap. La culture de la prévention anti-pandémique s’est perdue au sein de l’administration.

A l’arrière-plan, il y a évidemment la politique d’affaiblissement du service public hospitalier à laquelle ont contribué tous les gouvernements, droite et gauche confondus, depuis trente ans. En matière de santé, la France est devenue un pays dépendant, riche mais dépendant.

Des semaines durant, le discours du pouvoir, et de Jérôme Salomon en particulier, a été d’une arrogance insoutenable contre les pays asiatiques dont nous avions tant à apprendre. Ils ont leurs cultures, disait-il, mais nous avons la nôtre et nous sommes plus malins. Le temps passant, cette arrogance est devenue intenable. En Asie de l'Est, sud-coréens, japonais et vietnamiens se demandent sidérés comment les anciennes puissances coloniales peuvent se retrouver aussi démunies, la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, à l’exception de l’Allemagne. Le leadership auquel prétend encore l’Occident en prend un sacré coup.

Le témoignage dans le Nouvel Observateur de Michael Sibony, qui séjournait au Vietnam, en dit plus que mille discours. Grâce à une politique systématique de confinement temporaire pendant deux semaines des personnes revenant au pays et des personnes contaminées, en testant méthodiquement leur entourage et en favorisant le port du masque et des gestes barrières, le pays a pu limiter radicalement le nombre de cas avérés et, jusqu’à maintenant, il n’a pas connu de morts dus au coronavirus. D’où cette scène tristement désopilante, Michael Sibony, avant son retour en France, achète en gros des masques et des gels et il doit expliquer à une pharmacienne effarée que tout ce qui est à disposition dans son officine s’avère introuvable dans l’ancienne métropole coloniale.

Des arguments culturels mal venus ont agrémenté le discours des autorités en France. Tout d’abord, le port de masque, quand on est contagieux, n’est pas une affaire de culture, mais d’éducation. Il suffirait qu’il soit enseigné à l’école pour entrer dans les mœurs. Ensuite, le Japon n’est pas le pays de la distanciation sociale physique. Certes, on se salue sans se toucher, mais on se retrouve aussi souvent dans des restaurants serrés épaule contre épaule sur des banquettes, dans une promiscuité bien plus intense qu’autour de nos tables.

Edouard Philippe, premier ministre, et Oliivier Véran, ministre de la santé, ont affirmé que nous ne pouvions pas savoir, dénonçant violemment les critiques faciles, faites avec le bénéfice du recul. Au mois de janvier 2020 pourtant nous en savions assez pour mobiliser immédiatement tous les moyens. Il est vrai que le pouvoir était surtout préoccupé de la réforme des retraites. Je le dis d’autant plus facilement que j’ai écrit moi-même un premier article sur le sujet, publié le 16 février 2020. Je notais qu’il n’y avait pas d’épidémie en France. Ce qui était alors vrai. Je ne pouvais affirmer, vu mes sources limitées, que l’épidémie viendrait, mais la présidence et le gouvernement le savaient, eux, cependant je donnais déjà beaucoup d’indications médicales sur que faire au cas où. Je soulignais notamment quatre points. Ce qui se passe en Chine montre que la maladie est très dangereuse. Les premiers cas en France confirment qu’elle se propage sur le plan international. Tout retard dans la mise en œuvre de mesures fortes se paie extrêmement cher. Cacher la gravité d’un danger sanitaire n’est pas le propre du régime chinois, nous en avons eu plus d’un exemple en France.

La connaissance de la maladie a beaucoup progressé et il reste encore beaucoup d’inconnues. Cependant, au mois de janvier 2020 déjà, il suffisait de voir ce qui se passait en Chine pour savoir que le coronavirus était une attaque particulièrement sévère.

La présidence et le gouvernement français n’ont pas voulu avertir immédiatement de la gravité du danger ni en prendre eux-mêmes la pleine mesure. Au début du mois de mars 2020 encore, Emmanuel Macron s’est ostensiblement rendu au concert en disant que la vie continuait. Le premier tour des élections municipales a été maintenu Dimanche 15 Mars 2020 et l’on nous dit que tout ce qui pouvait être fait l’a été.

Dans ces conditions, le point de référence du pouvoir français n’est pas la Corée du Sud ou, humiliation suprême, le Vietnam, il reste le modèle chinois à partir duquel il faut réfléchir, en tenant compte de la taille du pays, mais aussi de l’extrême violence qui a accompagné le confinement.

De nombreux témoignages sur internet vite censurés illustrent la fureur d’une partie de la population contre l’incurie du régime et la violente répression qui a accompagné le confinement, portes d’appartement soudées par la police, refus de reconnaître que des malades sont atteints par le coronavirus, condition de la gratuité des soins, et patients incapables de payer et qui meurent dans la rue. Les chiffres officiels de morts en Chine sont massivement sous-estimés.

Dans l’étape qui s’amorce, la Chine et singulièrement la province du Hubei et la ville de Wuhan, sera le laboratoire du déconfinement. Une période lourde de dangers épidémiologiques, avec le risque d’une seconde vague de contamination, et politiques pour le Parti Communiste Chinois (PCC). Des semaines cruciales s’annoncent.

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