LES PROBLEMES DE LA REVOLUTION ARABE
Assemblée constituante en Tunisie, victoire électorale du parti de la renaissance musulmane en Tunisie, victoire électorale des Frères musulmans en Egypte, victoire de la révolution libyenne, gouvernement d’union nationale au Yémen, guerre civile en Syrie, un an après sa naissance, la jeune révolution démocratique arabe écrit tous les jours la nouvelle histoire des peuples arabes. Le nouveau Moyen Orient, c’est le nouveau Moyen Orient des peuples, ce n’est pas le Nouveau Moyen Orient de l’impérialisme.
Nous connaissons tous le célèbre pastiche de la non moins célèbre première phrase du manifeste du parti communiste de Marx en 1848, un spectre hante l’Europe et le monde, c’est le spectre de l’islamisme.
Le monde arabo musulman accumulait au plus profond de lui-même pendant des dizaines d’années une immense énergie créatrice. Cette formidable bombe à retardement, cette arme de construction massive éclate aujourd’hui à la face du monde dans une spectaculaire éruption volcanique dont nous voyons depuis un an seulement le début.
La révolution arabe avait des signes avant coureurs au niveau national et international. Il y avait par exemple depuis vingt ans la multiplication des affaires du voile et des lois liberticides islamophobes en France. La guerre civile en Algérie entre 1991 et 1999 après la victoire électorale du FIS et le coup d’état militaire des généraux de l’armée et de la sécurité militaire algériennes était une répétition générale de la révolution arabe.
Il y a d’abord un énorme problème linguistique et sémantique. Le jour de l’élection de l’assemblée constituante tunisienne le 23 octobre 2011, les médias occidentaux lançaient une violente campagne de propagande selon laquelle il y aurait une internationale islamiste, selon laquelle le parti Ennahda en Tunisie, les Frères musulmans en Egypte et en Syrie, le parti AKP du premier ministre turc Erdogan seraient des partis islamistes. Ils ne sont pas islamistes, ils sont musulmans.
La question centrale de la révolution démocratique arabe, c’est l’invention de la démocratie musulmane. La question centrale de la révolution arabe, c’est la question de la véritable laïcité, la question de la séparation de la religion et de l’Etat.
Il y a et il y aura un lent et long processus de sécularisation de la religion musulmane dans les pays arabes comme il y avait un lent et long processus de sécularisation de la religion chrétienne dans les pays occidentaux. Le processus de sécularisation de la religion musulmane dans les pays arabes sera plus rapide par rapport au processus de sécularisation de la religion chrétienne dans les pays occidentaux.
L’ancienne puissance coloniale française et tous ses gouvernements de droite comme de gauche étaient pendant vingt trois ans les principaux soutiens de la dictature de Ben Ali. Les principaux responsables de l’opposition tunisienne en exil en France subissaient pendant des années la répression des gouvernements français. Nous nous en souvenons tous, le gouvernement français proposait encore deux ou trois jours avant la chute de Ben Ali son expérience et son expertise en matière de répression policière.
Les responsables de l’ancienne opposition tunisienne gouvernent aujourd’hui ensemble la Tunisie mais les éradicateurs français ne changeaient pas de politique.
Ils ont une stratégie contre la révolution arabe, c’est la stratégie algérienne de 1991, c’est la fabrication de coups d’Etat militaires contre les majorités démocratiques électorales musulmanes mais cette stratégie ne fonctionne plus nulle part.
Le week-end du 17 et du 18 décembre 2011 en Tunisie concentrait à lui tout seul les problèmes de la révolution arabe. Il y avait d’abord un discours du nouveau président Marzouki devant un rassemblement de plusieurs dizaines de milliers de citoyens tunisiens à Sidi Bouzid à l’occasion du premier anniversaire de l’immolation par le feu de Mohammed Bouazizi. Il y avait ensuite une interview de Marzouki au Journal Du Dimanche par laquelle il défendait le gouvernement de coalition entre Ennahda, le CPR et Ettakatol. Il y avait enfin à Tunis le congrès de fondation du Conseil National Syrien devant lequel le président Marzouki prononçait un discours de soutien à l’opposition syrienne contre Assad.
Les médias français boycottaient l’ensemble de ces évènements et présentaient les déclarations de Marzouki dans son interview comme des déclarations anti françaises. Entre la France et la révolution arabe, il y a effectivement la Turquie.
Le vote d’une nouvelle loi mémorielle à l’unanimité par l’assemblée nationale française servait de prétexte à une nouvelle campagne anti turque dont l’expression la plus forte est le refus de l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne. Du point de vue des nostalgiques des colonies françaises, Israël serait en Europe mais la Turquie n’y serait pas.
Nous en arrivons à la question de la révolution syrienne. Il y a une guerre civile en Syrie depuis neuf mois. Il y a en Syrie une véritable course de vitesse contre la montre entre d’une part le plan de paix de la Ligue arabe et d’autre part la guerre de guérilla, la guerre de libération nationale de l’Armée Syrienne Libre contre les forces de répression policières et militaires du gouvernement Assad.
Le problème le plus important de la révolution syrienne est le suivant. Son issue dépend exclusivement des rapports de force régionaux, elle est en elle-même une puissante force de déstabilisation de tous les gouvernements de tous les pays de la région et des fragiles équilibres géo stratégiques régionaux.
Il y a par exemple pour le Hezbollah au Liban une alternative entre une stratégie d’unité inter confessionnelle libanaise ou bien une stratégie de soutien communautaire chiite au gouvernement syrien.
La révolution arabe modifiait déjà le statu quo et débloquait déjà l’impasse palestinienne par l’ouverture des négociations de réconciliation inter palestiniennes entre le Fatah et le Hamas et par la signature d’un accord d’échange de prisonniers entre Israël et le Hamas. La victoire électorale des Frères musulmans en Egypte provoquera forcément des pas en avant supplémentaires dans le sens de la réunification palestinienne. Elle passera par une rupture entre le Hamas et la Syrie.
En Irak, le départ officiel des derniers soldats de l’armée des Etats Unis provoquait immédiatement de nouveaux affrontements sectaires entre le gouvernement chiite de Maliki et la coalition Iraqiya à majorité sunnite. Les uns et les autres demandent l’arbitrage du gouvernement autonome du Kurdistan irakien, le gouvernement chiite de Maliki soutient le gouvernement syrien et la coalition irakienne sunnite soutient l’opposition syrienne sunnite.
La révolution syrienne réveillera forcément la plus vieille question nationale régionale, la question kurde, dans les cinq pays où vivent d'importantes minorités kurdes, la Syrie, l’Irak, la Turquie, l’Iran et la Russie.
En Turquie, le soutien du gouvernement turc à l’opposition syrienne provoquera forcément en sens inverse des tentatives de soutien du gouvernement syrien à l’armée turque et à ses tentatives de coup d’Etat militaire contre Erdogan.
L’alternative syrienne n’est donc pas l’alternative entre le plan de paix de la Ligue arabe ou bien le renversement du gouvernement syrien. C’est l’alternative entre le plan de paix de la Ligue arabe ou bien la déstabilisation de la totalité des gouvernements de la totalité des pays de la région. Assad lui-même le disait récemment à sa manière.
Ou en sera la révolution arabe dans un an ? L’année 2012 sera une année électorale en France et aux Etats Unis. La majorité des citoyens français élira t elle un nouveau président ou bien donnera t elle un nouveau mandat à Sarkozy ? La majorité des citoyens des Etats Unis élira t elle un nouveau président ou bien donnera t elle un nouveau mandat à Obama ? Personne n’en sait rien.
Souhaitons pour l’année 2012 des vœux de paix à tous les peuples du monde, en particulier à tous les peuples arabes, et la paix passe par la victoire de la révolution arabe.
Bernard Fischer