https://mondafrique.com/les-relation-troubles-demmanuel-macron-avec-lalgerie/
Les relations troubles d’Emmanuel Macron avec l’Algérie
Par Nicolas Beau
Dimanche 12 Mai 2019
Dans son livre fort documenté, « le grand manipulateur », Marc Endeweld revient sur les liens que le président français, Emmanuel Macron, aidé par Alexandre Benalla, a tissé avec deux oligarques algériens, Ali Haddad et Issad Rebrab.
La diplomatie française, qui redoutait par dessus tout une transition politique algérienne dominée par Ahmed Gaïd Salah, ce chef d’état major fort éloigné des intérêts français, a tout mis en oeuvre pour soutenir le président Abdelaziz Bouteflika en fin de course.
De façon plus surprenante, le président français, Emmanuel Macron, a mis les bouchées doubles pour soutenir un régime algérien à l’agonie. La lecture passionnante du livre de Marc Endeweld sur les réseaux opaques du président français avec de riches hommes d’affaires algériens fournit quelques clés d’explication de cette posture surprenant de l’Elysée face à la transition démocratique algérienne.
Nous nous souvenons du tweet ahurissant envoyé par le président français, le 12 mars 2019, alors qu’il se trouvait en voyage officiel à Djibouti. Le 11 mars 2019, le clan d'Abdelaziz Bouteflika à l’agonie avait proposé une dérisoire feuille de route appelant, après vingt ans de règne, à des réformes fondamentales et à une nouvelle constitution.
Depuis trois semaines, la rue algérienne dénonçait l’incurie du régime et demandait le départ des principaux dirigeants politiques honnis par le peuple. Et bien Emmanuel Macron ne trouva rien de mieux à faire que de soutenir, par un tweet, le régime finissant.
« La jeunesse algérienne », expliquait Emmanuel Macron, « a su exprimer son espoir de changement avec dignité. La décision du président Abdelaziz Bouteflika ouvre une nouvelle page pour la démocratie algérienne. Nous serons aux côtés des algériens dans cette période nouvelle, avec amitié et avec respect ».
L’association des valeurs démocratiques et du nom d’Abdelaziz Bouteflika était à l’évidence d’une totale maladresse. Cette prise de position aura pour seul effet de renforcer la mobilisation populaire et la détestation du régime en place.
Pourquoi le président français affichait-il une position aussi peu prudente ? Comment pouvait-il prendre le risque de faire huer son nom dans les manifestations qui se multiplient en Algérie, en apparaissant comme l’ultime rempart d’un système corrompu ? Pour quelle raison montrait-il une telle précipitation en se substituant par les réseaux sociaux aux canaux diplomatiques habituels ?
L’essai fort instructif du journaliste Marc Endeweld explique ce soutien par les liens étroits qu’Emmanuel Macron a tissés avec les hommes d’affaire les plus influents du régime algérien, à savoir Ali Haddad, l’ancien patron des patrons, et Issad Rebrab, l’homme le plus riche d’Algérie. Le premier aura été la tirelire du clan d’Abdelaziz Bouteflika dont il a servi les pires turpitudes. Le second fut le principal homme d’affaire soutenu par l’ancien Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS), cette police politique qui fut, pendant un quart de siècle, la colonne vertébrale du système algérien.
Plus grave, le profil des intermédiaires franco algériens à l’oeuvre dans ces relations suspectes, Alexandre Benalla en tète, laissent entrevoir des arrangements que la morale politique réprouve.
A la lecture du livre de Marc Endeweld, nous avons le sentiment en effet que les relations entre Emmanuel Macron et l’Algérie dissimulent quelques cadavres dans les placards.
Lorsqu’au coeur de sa campagne électorale en vue de la dernière élection présidentielle française, Emmanuel Macron se rendit à Alger, le 13 février et le 14 février 2017, le candidat de la République En Marche (REM) se trouvait dans une situation financière très périlleuse. Dans les derniers mois qui ont précédé le scrutin de 2017, note Marc Endeweld, « l’argent manquait terriblement pour poursuivre sa campagne et le budget était très entamé ».
Reçu comme un chef d’état par le pouvoir algérien qui misait beaucoup sur son élection, Emmanuel Macron se montrera très favorablement impressionné par Ramtane Lamamra, ministre alors des affaires étrangères, et Abdeslam Bouchouareb, ancien ministre de l’Industrie et propriétaire d’un bel appartement à Paris, dont la réputation affairiste n’est plus à faire. Depuis, ces deux hommes sont régulièrement consultés par l’Elysée sur le dossier algérien.
Durant le même voyage, Emmanuel Macron qualifia la colonisation, dans une interview à la chaine de télévision Echorouk News, de crime contre l’humanité. Des propos surprenants dans le cadre d’une campagne qui se veut consensuelle et provenant d’un homme qui, en 2016, expliquait au Point que l’occupation de l’Algérie s’était accompagnée d’éléments de civilisation. Une telle audace fut payante auprès des dirigeants algériens qui, dès lors, virent en Emmanuel Macron un interlocuteur privilégié.
Mais durant ce même voyage, plusieurs rencontres discrètes furent organisées, apprend-on dans le livre de Marc Endeweld, « le grand manipulateur ». Plusieurs personnalités, dont l’avocat Jean Pierre Mignard et l’homme d’affaires François Touazi, avaient préparé le voyage en amont. L’ancien ministre Jean Louis Borloo et Yasmina Benguigui avaient également mis leurs carnets d’adresses au service du candidat Emmanuel Macron. Enfin Alexandre Benalla, le fidèle garde du corps, participait à l’expédition.
« Le 14 février 2017 en fin de matinée », explique Marc Endeweld, « un petit déjeuner est organisé sur la terrasse de l’hôtel Aurassi avec les représentants du Forum des Chefs d’Entreprise (FCE), l’équivalent du mouvement des entreprises de France (MEDEF) ». Le patron des patrons algériens et intime du clan d’Abdelaziz Bouteflika, Ali Haddad, était tout sourire, face à un Emmanuel Macron qui prend des engagements vis à vis de l’Algérie en matière d’énergies renouvelables.
Quelques heures plus tôt dans le même hôtel, le même Ali Haddad prenait un autre petit déjeuner, celui-ci très discret, avec Emmanuel Macron. De cette rencontre, il ne filtrera rien.
A l’époque, Alexandre Djouhri, un intermédiaire flamboyant qui est proche à la fois de Dominique de Villepin, l’ancien premier ministre de Jacques Chirac, et de Maurice Gourdault-Montagne, l’actuel secrétaire général du Quai d’Orsay, séjournait fréquemment en Algérie. Cet habitué de l’hôtel Aurassi entretenait des relations étroites avec Ali Haddad.
« Selon trois sources différentes », affirme l’auteur du grand manipulateur, « l’homme d’affaire algérien a bien rencontré à cette occasion le futur président ». Ce qu’Alexandre Djouhri dément.
Symbole de la corruption qui régna sous Abdelaziz Bouteflika, Ali Haddad n’est certainement pas un modèle de vertu ni de modernité. Pourquoi Emmanuel Macron prend-il le risque de le rencontrer à deux reprises ? Quel profit en retirer ? Autant de questions que pose, entre les lignes, l’ouvrage de Marc Endeweld.
La veille de ces deux petits déjeuners avec Ali Haddad, le candidat Emmanuel Macron dinait avec Issad Rebrab, l’homme le plus riche d’Algérie qui fit fortune grâce à sa proximité avec les services algériens dirigés pendant un quart de siècle par le fameux général Mohamed Mediène. L’homme d’affaire est au plus mal à l’époque avec le clan d’Abdelaziz Bouteflika qui cherche à lui tondre la laine sur le dos et à le marginaliser. L’homme d’affaire kabyle est parfois même présenté comme un opposant au pouvoir en place.
Pourtant Emmanuel Macron, au risque de mécontenter le clan d’Abdelaziz Bouteflika, accepte l’invitation à diner d’Issad Rebrab. Première raison de cette visite peu protocolaire, le candidat connaissait bien l’industriel kabyle qui investissait massivement en France quand Emmanuel Macron était secrétaire général adjoint à l’Elysée puis ministre de l’industrie durant la présidence de François Hollande.
Deuxième raison de cette rencontre, les liens sont très nombreux entre les entourages du candidat et de l’oligarque. Issad Rebrab est en effet un intime de François Touazi depuis fort longtemps. Le groupe Cevital que l’homme d’affaire a fondé a fait travailler Alexandre Benalla à l’époque où ce dernier avait créé, depuis le Maroc, la société de sécurité Velours. Enfin Issad Rebrab s’est fait aider dans ses investissements en France par un ancien trader franco algérien du nom de Farid Belkacemi qui participa également à la préparation du voyage d’Emmanuel Macron. Cerise sur le gâteau, Farid Belkacem est un proche ami d’Alexandre Benalla qu’il aida à se reconvertir lorsqu’il dut quitter l’Elysée au mois de juillet 2018.
Depuis son élection comme président de la république, Emmanuel Macron n’a cessé de témoigner de son amitié pour l’industriel kabyle qu’il a reçu à plusieurs reprises, notamment au château de Versailles au mois de janvier 2019 lors du sommet Choose France. Une amitié est née dont nous ne connaissons pas encore tous les ressorts.
De là à imaginer des sources de financement algérien dans la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron, il y a un pas que plusieurs sources à Alger franchissent en privé, mais sans preuve et au sein d’un microcosme où courent les rumeurs les plus folles.
Ali Haddad et Issad Rebrab ont été placés, ces dernières semaines, en détention par le pouvoir militaire algérien. Qu’ils soient l’un et l’autre des amis de la France n’arrange pas leurs affaires. Le chef d’état major, Ahmed Gaïd Salah, au mieux avec les russes et apprécié par les américains, entretient en effet des relations très tendues avec la diplomatie française. D’où l’interrogation suivante, leurs bonnes relations avec Emmanuel Macron n’ont-elles pas aggravé leur situation ?
Ali Haddad et Issad Rebrab ont été interpellés l’un et l’autre au prix de mises en scène savamment orchestrées. Les caméras ont été autorisées à filmer le premier d’entre eux alors qu’il était hué par la foule et, contre tout usage, alors qu’il se trouvait dans l’enceinte du tribunal militaire.
Depuis, la diplomatie française est bien silencieuse et Emmanuel Macron a renoncé à commenter la situation algérienne par tweet. L’avertissement du pouvoir militaire algérien aurait-il été entendu ?