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Josette Audin, une vie à rendre justice
Elle avait consacré son existence à ce que la vérité soit faite sur l’assassinat de son mari et la pratique de la torture pendant la guerre d’Algérie. Josette Audin est décédée Samedi 2 Février 2019 à l’âge de quatre vingt sept ans.
Une grande dame s’est éteinte. Josette Audin est décédée Samedi 2 Février 2019 à l’âge de quatre vingt sept ans, emportant avec elle l’histoire intime de la grande histoire, celle qu’elle aura contribué à écrire par sa persévérance et son courage. Nous n’oublierons pas son merveilleux sourire, le 13 septembre 2018, lorsque le président de la république est venu chez elle lui demander pardon, au nom de la république. Josette Audin aura vécu ce moment avant de s’en aller.
Cette reconnaissance officielle de l’assassinat de Maurice Audin par l’armée française, elle y a travaillé plus de soixante ans, affrontant les lâchetés politiques et les mensonges de la grande muette, par amour, mais aussi pour tous les algériens victimes de la torture. Car si sa vie a été indissociablement liée au nom de son mari, Josette Audin était une militante communiste et anticolonialiste, dont l’engagement ne s’est jamais affadi. Ces derniers mois, en dépit de la maladie, elle trouvait la force d’être là où son combat devait la mener. Le 12 décembre 2018, elle était au premier rang de l’amphithéâtre de l’Institut Raymond Poincaré, pour la cérémonie de remise du prix de mathématiques Maurice Audin. Le 14 septembre 2018, elle avait tenu à venir à la Fête de l’Humanité, pour partager avec les siens la formidable victoire politique de la reconnaissance, le 13 septembre 2018, du crime d'état par Emmanuel Macron. Le public de la Fête de l'Humanité le lui avait bien rendu, par un de ces instants magiques où l’émotion n’a plus besoin de mots. À l’Agora, sa frêle silhouette avait soulevé l’admiration et le respect d’un public qui a partagé son engagement pendant toutes ces années. Celui qui a permis que le nom de Maurice Audin ne tombe pas dans l’oubli.
Le 11 juin 1957, un commando de parachutistes l’arrache au bonheur
Sa vie a basculé en 1957. Josette Audin a vingt cinq ans. Militante du Parti Communiste Algérien (PCA), elle a rencontré Maurice Audin cinq ans plus tôt, à la faculté d’Alger. Ils partagent l’amour des mathématiques, de l’Algérie et de son peuple. Un pays où elle est née et a grandi, dans le quartier de Bab el Oued. « Nous étions conscients des risques que nous prenions », expliquait Josette Audin, « mais nous étions révoltés par le colonialisme. Nous ne supportions pas de voir des enfants algériens cirer les chaussures dans les rues, au lieu d’aller à l’école. Au marché, si le vendeur était arabe, tout le monde le tutoyait. Nous ne l’acceptions pas ».
Au mois de juin 1957, l’un des plus meurtriers de la bataille d’Alger, le jeune couple héberge des militants clandestins dans son appartement de la rue Flaubert, dans le quartier du Champ-de-Manœuvre. C’est ici que, le 11 juin 1957 vers 23 heures, des parachutistes tambourinent à leur porte, derrière laquelle dorment leurs trois enfants, Michèle a trois ans, Louis a dix huit mois et Pierre a un mois. « Quand est-ce qu’il va revenir », demande Josette Audin, alors que son mari est enlevé par l’armée. « S’il est raisonnable, il sera de retour dans une heure », lui répond un capitaine. « Occupe-toi des enfants », a le temps de lui lancer Maurice Audin. Ce seront les derniers mots qu’elle entendra de lui, qui n’est jamais revenu. Et Josette Audin n’a jamais cru à la thèse de l’évasion avancée par les autorités. « Jamais », assurait-elle, « il aurait tout fait pour prendre contact avec moi ». Depuis ce jour où un commando de parachutistes l’a arrachée au bonheur, Josette Audin ne s’est jamais résignée.
Josette Audin n’a jamais renoncé et elle ne s’est jamais résignée
« Mon mari s’appelait Maurice Audin. Pour moi il s’appelle toujours ainsi, au présent, puisqu’il reste entre la vie et la mort qui ne m’a jamais été signifiée », écrivait-elle en 2007 dans un courrier adressé à Nicolas Sarkozy, publié dans nos colonnes, resté lettre morte. Inflexible, pendant plus de soixante ans, Josette Audin n’a jamais renoncé à sa quête de vérité. Dès le 4 juillet 1957, elle porte plainte contre X pour homicide volontaire. La famille de Maurice Audin est la seule à l’épauler dans ces semaines pénibles, où les soutiens se font rares. Les collègues de la faculté ne se précipitent pas pour l’aider. Quant aux camarades, « c’était trop dangereux pour eux de me contacter ». L’instruction de l’affaire, commencée en juillet 1957 à Alger, est transférée à Rennes en 1960. Deux ans plus tard, un premier non-lieu sera prononcé pour insuffisance de charges. Mais Josette Audin ne baisse pas les bras. C’est une battante et une militante. Elle décide de rester vivre en Algérie et, après l’indépendance, elle fait le choix de devenir fonctionnaire algérienne, quitte à perdre beaucoup de salaire. Ce n’est qu’à l’été 1966, après le coup d’état d’Houari Boumédiène, qu’elle se résout à partir en France, pour protéger sa famille. « Nous avons annoncé à tout le monde et aux voisins que nous allions passer l’été dans le sud de l’Algérie. Ma mère avait tout organisé. Nous avons atterri pour une autre vie à Étampes », raconte Pierre Audin, son plus jeune fils, lui aussi mathématicien, « pas de chance, le proviseur du lycée où ma mère enseignait était au Front National. Donc, nous sommes partis vivre à Argenteuil ». Quelques semaines après son arrivée en France, au mois de décembre 1966, la cour de cassation déclare que l’affaire est éteinte. Mais les plaies sont toujours ouvertes. « Ma mère n’en parlait jamais. C’était son jardin secret et nous l’avons respecté », confie Pierre Audin, « il y avait son portrait partout, je me doutais que c’était un héros, mais je ne savais pas pourquoi. Un jour, je suis tombé sur un livre dans la bibliothèque dont le titre était l’affaire Maurice Audin ».
La reconnaissance par Emmanuel Macron, une victoire personnelle et politique
Les années passent et chaque nouvelle étape de l’affaire replonge Josette Audin dans ce deuil impossible. Elle ne s’est jamais remariée. Au début des années 2000, alors que les tortionnaires soulagent leur conscience dans la presse française, Josette Audin remonte au front et dépose une nouvelle plainte contre X pour séquestration, qui aboutira encore à un non-lieu.
Elle refuse de rencontrer en privé la famille des assassins de son mari, « si la vérité doit advenir », explique-t-elle, « il faut que cela soit devant tout le monde, devant la justice de la république ». L’espoir, la lassitude et la colère, au mois de janvier 2018, à l’assemblée nationale, à quatre vingt sept ans, elle était venue redire, avec une incroyable dignité, qu’elle espérait toujours que « la France, pays des droits de l’homme, condamne la torture, ceux qui l’ont utilisée et ceux qui l’ont autorisée ». Ce jour-là, le mathématicien Cédric Villani est à ses côtés. Le député de la République En Marche (REM) en est convaincu, Emmanuel Macron doit reconnaître ce crime d’état. Simultanément, l’Humanité publie des témoignages d’appelés qui racontent l’horreur de la torture et qui remettent dans le débat public les pratiques de l’armée française pendant la guerre d’Algérie. Une lettre ouverte adressée au président de la république, signée par de nombreuses personnalités, est également publiée dans nos colonnes. « Des deux côtés de la Méditerranée, les mémoires algériennes et françaises resteront hantées par les horreurs qui ont marqué cette guerre, tant que la vérité n’aura pas été dite et reconnue », affirme le texte. Trois mois plus tard, grâce au geste historique du chef de l’état, la France regarde en face l’une des pages les plus sombres de la colonisation. Car le sort d’un homme révéla tout un système, celui de la pratique généralisée de la torture pendant la guerre d’Algérie.
Le 13 septembre 2018, dans le salon de Josette Audin, où Maurice Audin est partout, éternel jeune homme de vingt cinq ans immortalisé par des clichés posés sur les étagères du salon, une page d’histoire s’est écrite. Un dialogue entre Emmanuel Macron et Josette Audin en dit long. « Je vous remercie sincèrement », lui dit-elle. « C’est à moi de vous demander pardon, donc vous ne me dites rien. Nous restaurons un peu de ce qui devait être fait », répond Emmanuel Macron.
« Oui, enfin, je vous remercie quand même », lui rétorque Josette Audin d’un air malicieux. Le président lui répond que « je vois que l’indiscipline continue ». L’insoumission, l’indocilité plutôt, le combat de Josette Audin, exemplaire, lui survivra. Nous y veillerons.
Pendant soixante ans, nos colonnes ont tenté de l’accompagner dans son juste combat. C’est dire si les équipes de l’Humanité ont du chagrin aujourd’hui. À ses enfants, Michèle et Pierre, ses petits-enfants et toute sa famille, elle adresse ses condoléances les plus chaleureuses.