Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
19 juin 2016 7 19 /06 /juin /2016 16:31

http://www.liberation.fr/planete/2016/06/16/espagne-le-parti-socialiste-deborde-sur-sa-gauche_1460012

Le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE) débordé sur sa gauche

Par François Musseau, correspondant permanent de Libération à Madrid

Jeudi 16 Juin 2016

Dans le quartier ouvrier madrilène de Vallecas, la gauche radicale est sur le point de devancer le PSOE aux élections législatives du Dimanche 26 Juin 2016

Un sentiment d’exaltation règne dans les locaux d'Izquierda Unida, dans le quartier de Vallecas, un énorme bourg de tradition ouvrière du sud-est de Madrid, le seul de la capitale qui se targue, en quarante ans de démocratie, d’avoir toujours voté majoritairement à gauche. A l’antenne locale, située au numéro trente deux de la rue Sierra Carbonera, un groupe de militants commente les chances de la formation pour les élections législatives du Dimanche 26 Juin 2016.

« Nous pourrions bien vivre un moment historique », dit ce professeur auxiliaire, la trentaine, qui émarge petitement au gré des remplacements qu’on lui propose. « Moi, depuis tout jeune, je milite dans ce parti militant, noble et fidèle à ses électeurs populaires, mais avec une mentalité de perdant. Or, aujourd’hui, nous pouvons créer la surprise, gagner et vraiment changer les choses ».

A côté de lui, un quadragénaire, ancien ouvrier du Bâtiment et des Travaux Publics (BTP) au chômage et qui vit depuis de chapuzas, des mini-jobs mal payés et non déclarés, partage cet enthousiasme, « à Izquierda Unida, nous étions jusqu’ici des figurants. Cette fois-ci, nous pouvons jouer un rôle central. Beaucoup de gens en ont marre de la corruption, de la morgue des politiciens, des inégalités qui n’arrêtent pas d’augmenter et de cette démocratie qui ne veut plus rien dire. Nous, nous sommes une alternative ».

Si Izquierda Unida a ces jours-ci la foi chevillée au corps, c’est parce qu’elle s’est trouvé un allié de choix, Podemos. Ce parti émergent né en 2014, produit du mouvement des indignés apparus au mois de mai 2011, a scellé une alliance avec cette coalition de la gauche de la gauche, un ensemble disparate constitué autour du Parti Communiste Espagnol (PCE), légalisé à la fin du franquisme. Et cette alliance inédite pourrait bien être la révélation du prochain scrutin. Certes, les conservateurs du Parti Populaire sont donnés favoris, mais ils seraient talonnés par Unidos Podemos, la fusion pré électorale de la vieille Izquierda Unida et du néophyte parti indigné.

Orgueil

Autrement dit, si cette projection se réalise, le sorpaso aura lieu pour la première fois en Espagne. Le PSOE, l’historique rival des conservateurs, serait devancé sur sa gauche par des mouvements plus radicaux.

Dans les rangs d’Izquierda Unida, on se frotte les mains. A l’issue des très disputées élections législatives du mois de décembre 2015, dont aucun exécutif n’est sorti, ils n’ont obtenu qu’un petit million de suffrages et, en raison d’un découpage électoral défavorable, deux malheureux sièges de députés, sur trois cent cinquante sièges. Main dans la main avec Podemos, troisième force parlementaire avec soixante neuf sièges, derrière le Parti Populaire et le PSOE, la donne change du tout au tout. Elle permettrait à Izquierda Unida de tutoyer la pole position.

Lorsqu’il évoque Vallecas, qui compte près de trois cent vingt mille habitants, Jorge Luis, musicien de vingt neuf ans, parle de « l’orgueil » de son quartier. Et ce, même si depuis une dizaine d’années, ce gros bourg accolé à Madrid a perdu de son homogénéité. Les habitants vieillissent, les jeunes ont rejoint la grande banlieue pour vivre dans des logements plus vastes et des immigrés venus du Maroc, de Chine et d’Amérique Latine ont transformé l’environnement.

« J’y suis né », dit Jorge Luis, « et Vallecas restera toujours Vallecas, un village d’Astérix, de résistance et de fierté populaire. C’est truffé de collectifs libertaires, d’associations d’entraide et de locaux pour ouvriers à la retraite. Et même d’un club de football qui fait souvent trembler les meilleurs ».

La nouveauté, à ses yeux, c’est que, désormais, ce bastion de la gauche peut influer sur la destinée politique du pays. Aux élections municipales du mois de mai 2015, Vallecas a ainsi voté massivement en faveur de l’ancienne juge Manuela Carmena, soixante et onze ans. La désormais maire de Madrid est en effet une ancienne communiste de l’ère franquiste, fervente partisane de la démocratie directe, de la transparence dans les comptes publics et du rapprochement entre élus et administrés, bref, de la fin des privilèges des politiques. Comme elle, des personnalités de la société civile, au nom de l’indignation, dirigent les municipalités de Saragosse, de Valence, de la Corogne ou de Cadix.

Désillusion

« Un an s’est écoulé », poursuit Jorge Luis. « Les conservateurs avaient prédit un cataclysme, la paralysie de la ville et le chaos. Or, tout le monde peut constater que rien de pareil ne s’est produit. Au contraire, avec Manuela Carmena, les élus sont plus responsables, plus honnêtes et plus volontaristes. Et cela, c’est l’atout de la vraie gauche. Pas les socialistes, qui font partie de l’establishment ».

Une promenade dans Vallecas, dominé par des pâtés de maisons basses délimités par de grandes artères, l’atteste, cette mutation n’est pas évidente pour tous. Même si les sympathies sont majoritairement à gauche, beaucoup affichent une désillusion virulente à l’égard de leur classe politique. Accoudée à un bar, le visage résigné, Maria del Carmen, quarante sept ans, couturière au chômage qui ne touche plus que le subsidio, sorte de Revenu de Solidarité Active (RSA), d’un montant de quatre cent vingt six euros, explique ainsi son regard désabusé, « mon unique objectif est de survivre. Nos politiques ne font rien pour nous et ne pensent qu’à se remplir les poches ». En contrebas, devant l’église San Ramon, des dizaines de gens font la queue pour la soupe populaire.

Partout, le chômage et la pauvreté sont palpables, en dépit des indicateurs de légère reprise économique, comme la baisse des demandeurs d’emploi de vingt six pour cent à vingt et un pour cent. A l’échelle nationale, de source officielle, environ trente deux pour cent des espagnols se trouveraient « en risque d’exclusion sociale ». L’opinion de Maria del Carmen s’avère très représentative. Un récent sondage de Metroscopia l’atteste, plus de quatre vingt pour cent des espagnols qualifient la situation politique de « mauvaise ou très mauvaise ».

La montée en puissance d’Unidos Podemos pourra-t-elle inverser la tendance ? « Ce qui est sûr », dit Juan Manuel, cinquante sept ans, métallurgiste reconverti en chauffeur de taxi, « c’est qu’au moins, Izquierda Unida, et surtout Podemos, ont permis de calmer les frustrations et de donner un peu d’espoir. Au moins, en Espagne, cela ne passe pas par l’extrême droite ».

Pour piloter ce possible changement, les leaders sont jeunes, épargnés par les scandales de corruption, Podemos est dirigé par le politologue Pablo Iglesias, trente sept ans. Izquierda Unida, elle, vient de se débarrasser de son vieux leader communiste, Cayo Lara, au profit d’un jeune économiste de trente ans, très versé dans les réseaux sociaux, Alberto Garzón. « Il ne faut pas s’attendre au miracle, mais si le pouvoir passait à gauche », dit Juan Ramon, cinquante trois ans, buraliste, « ces deux là ont tout en main pour corriger le tir, réduire l’austérité et résister à Bruxelles et à Angela Merkel. Donnons-leur au moins un vote de confiance ».

Partager cet article
Repost0

commentaires