LE MONDE | 09.09.08 | 14h13 • Mis à jour le 09.09.08 | 16h19
NEW YORK CORRESPONDANT
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Il devait pourtant l'avoir un peu envisagé. Depuis six semaines, un renflouement public des deux sociétés était dans l'air. Il aura fallu ce temps pour que M. Paulson, ex-patron de Goldman
Sachs, chantre de la dérégulation et du primat des marchés, se rende à l'évidence : non pas nationaliser les deux géants - le terme, à connotation "socialiste" aux Etats-Unis, est quasi banni
-, mais le faire sans le dire.
Pourtant, le 20 août encore, M. Mudd balayait les "rumeurs". Fannie, déclarait-il, "a plus de capitaux qu'il n'en a jamais eu". Au Trésor, "personne n'a jamais
évoqué" devant lui l'éventualité d'une recapitalisation. En réalité, à cette date, M. Paulson sait qu'il s'agit bien plus qu'une simple éventualité. Deux jours avant, les analystes que la
banque Morgan Stanley a mis à sa disposition (à sa requête) pour éplucher les comptes de Fannie et Freddie ont rendu leur premier rapport. Verdict : La capacité de remboursement des 1 600
milliards de dollars de dettes des deux mastodontes est très inférieure à ce qu'ils annoncent. En revanche, leur perte est plus élevée que prévu. Avec la multiplication des emprunteurs
insolvables aux Etats-Unis, elle atteindra 50 milliards de dollars dans les dix-huit mois. Telle serait la somme qu'ils devraient lever pour continuer d'assumer leur mission : garantir les
organismes de prêt immobilier. Or, Wall Street est convaincu que les bilans de Fannie et Freddie ne reflètent pas leurs pertes réelles. Les investisseurs ne voleront pas à leur secours.
Depuis avril, M. Paulson multiplie les contacts avec les responsables des commissions des finances et de l'immobilier de la Chambre et du Sénat. Le 23 juillet, il annonce un "plan" négocié avec
le Congrès. A ce moment, le ministre espère vaincre les réticences de la Bourse. Il ne veut pas entendre parler de renflouement public. Son motif n'est pas qu'idéologique. En période
pré-électorale, il ne souhaite pas repasser sous les fourches caudines du Congrès, à majorité démocrate, ce qu'il devrait faire en cas de reprise par l'Etat des deux sociétés.
La suite est l'histoire d'une lente prise de conscience de l'inéluctable. Le 7 août, lors de sa première rencontre avec les analystes de Morgan Stanley, M. Paulson leur dit de n'"exclure
aucune option". Il préférera toute solution faisant appel aux marchés. En revanche, si un renflouement public est examiné, pas question qu'il bénéficie aux investisseurs. Là encore, le
"moment" politique explique son attitude : un sauvetage d'organismes privés bénéficiant formellement d'une garantie publique et qui privilégierait ses actionnaires serait du plus mauvais effet
à la veille d'une échéance présidentielle.
Le 10 août, M. Syron vient le voir. Mauvaise nouvelle : la banque Goldman Sachs, à qui le PDG a fait appel, ne trouve aucun investisseur intéressé à recapitaliser Freddie. Mais, assure son
patron, rien n'est perdu : de nouvelles mesures publiques en sa faveur pourraient débloquer la situation. M. Paulson est sceptique : pour Fannie et Freddie, le plan de sauvegarde de
l'immobilier, que George Bush a signé le 30 juillet, n'a pas été plus utile. Chaque nouvelle annonce de l'Etat ne fait qu'accroître la conviction des investisseurs que les deux piliers du
crédit sont "foutus". Leur nom est démonétisé.
LA SEULE OPTION RÉALISTE
Le 15 août, les deux PDG viennent avec une nouvelle idée. Non seulement le Trésor va racheter leurs titres massivement, comme le Congrès l'a autorisé, mais il devrait annoncer que ceux
qu'acquerraient les investisseurs privés seront honorés sans perte en cas de mise sous tutelle publique ultérieure. M. Paulson les écoute poliment. Trois jours plus tard, il a un rendez-vous
bien plus important. Les analystes de Morgan Stanley lui déclinent les trois options. Un : la mise en règlement judiciaire de Fannie et Freddie. Deux : une ultime tentative de lever des fonds
sur les marchés. Trois : la tutelle publique. La Fed est informée.
C'est alors que M. Paulson prend conscience de l'inévitable. L'appel aux marchés ? Il n'y croit plus. Le dépôt de bilan apparaît trop risqué, la déflagration internationale qui en résulterait
étant imprévisible. Le 26, il annonce à M. Bush, en vacances dans son ranch, que la tutelle publique constitue la seule option réaliste. Il obtient sa bénédiction.
Un dernier mouvement le convainc. Selon le Wall Street Journal, Charles Schumer, sénateur démocrate de New York, a informé le Trésor que les banques centrales européennes, russe et
asiatiques menacent de cesser de souscrire à la titrisation de la dette émise par Fannie et Freddie (elles en détiennent déjà pour plus de 5 000 milliards de dollars). Dès lors, une équipe de
hauts fonctionnaires et de banquiers s'attelle au sauvetage public.
Aux Etats-Unis, le premier lundi de septembre est férié. C'est Labor Day. Une quinzaine de personnes se retrouvent, à 8 h 30, dans le bureau de M. Paulson, en présence de M. Bernanke. Le
ministre précise que la parole est libre. Toutes les options étant mauvaises, une seule est exclue : ne rien faire. Au soir, la mise sous tutelle est acquise.
Décision est prise de l'annoncer le dimanche 7, avant l'ouverture des marchés asiatiques. Le temps d'affiner les procédures. Les deux PDG limogés seront prévenus le plus tard possible. M.
Lockhart est chargé de préparer une liste de successeurs potentiels. Dimanche, avant sa conférence de presse, M. Paulson signe les documents autorisant les futurs dirigeants de Fannie et
Freddie à puiser chacun jusqu'à 100 milliards de dollars dans les fonds mis à leur disposition. Comme l'écrit la presse américaine : 200 milliards qui appartiennent "aux
contribuables".