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actualité politique nationale et internationale

ALLENBY ET BALFOUR


L’Irlande et la Dernière Croisade britannique

Pat Walsh

www.ccun.org  le 8 mai 2008

Première publication à « Irish Political Review » décembre 2007

Le 9 décembre 1917, il y a quatre-vingt dix ans ce mois ci, Jérusalem fut reprise par la Grande Bretagne pour le compte de la chrétienté. Ceci fut considéré en Angleterre comme l'événement majeur de la guerre. Lloyd George imposa un embargo sur les reporters de presse, jusqu'à ce qu'il ait pu annoncer la nouvelle à la Chambre des Communes (à l'époque, le parlement était encore important). Pour fêter la « libération » de la ville sainte des Musulmans, après 730 ans (Salâh-uddîne, Saladin, avait libéré Jérusalem des Croisés en 1187, Ndt), les cloches de l'Abbaye de Westminster sonnèrent pour la première fois en trois ans et elles furent suivies par des milliers d'autres dans toute l'Angleterre.

Le général Allenby, le libérateur (l’occupant, Ndt) de Jérusalem, et un descendant de Cromwell, déclara à Jérusalem que les croisades furent terminées. Après l’avoir entendu, les Arabes, qui avaient été encouragés à combattre pour la Grande-Bretagne (en déclenchant la Révolution Arabe en juin 1916 contre les Turcs, Ndt) et qui virent les Britanniques comme des libérateurs, commencèrent à fuir. Et depuis ils ne cessent de fuir.

Le grand élan de triomphalisme chrétien produit par la prise de Jérusalem ne se limita pas à l'Angleterre. Voici comment « The Irish News » à Belfast présenta l'aboutissement de la dernière croisade, dans son éditorial du 11 Décembre 1917 :

« ‘Votre trône est tombé, ô Israël !’ Le pouvoir des Musulmans dans la « Terre Promise » est enfin tombé : nous pouvons supposer qu’avec l'entrée des troupes du Général Allenby à Jérusalem, on a pratiquement mis un terme au règne des Turcs sur la Palestine ... Quand la Terre Sainte aura été entièrement enlevée à la domination turque, qui c’est qui la possèdera et de l'administrera ?

Des déclarations officielles concernant la recolonisation du pays par la race juive (sic !) dispersée ont été faites. Les observateurs peuvent constater l’absence de traces d'enthousiasme pour le projet parmi les Hébreux eux-mêmes. En tant qu’idée, rien ne pourrait être plus attrayant sentimentalement ; comme une proposition concrète, nous croyons que tout enfant d'Abraham donnerait sa bénédiction à son frère qui migrerait de la terre des Gentils sur les rives du lac de Galilée, et les pentes du mont des Oliviers. Ainsi, Ce petit territoire chargé d’histoire pourrait devenir de nouveau « une terre où coulent le lait et le miel » - essentiellement pour le bonheur de la descendance d'Abraham, d'Isaac et de Jacob qui sont restés là où ils étaient.

Mais un état juif ne peut pas être établi tout de suite, même si tous les Rothschild mènent l'ensemble de leurs compatriotes (coreligionnaires, Ndt) vers Jérusalem. Le pays doit être « protégé » - en clair, annexé : un synonyme utile dans le traitement des affaires orientales pourrait être « Egyptiannisé ». Et les vainqueurs sont, bien entendu, les « protecteurs » naturels du territoire gagné par la force des armes. Telle a été la règle et la pratique depuis avant l'époque de Moïse et de Josué. Nous en savons tous quelque chose en Irlande. Quand les objectifs de la campagne en Palestine et en Mésopotamie auront été entièrement atteints, un « bloc » solide de territoires asiatiques se situera entre les Allemands et l'Océan Indien. Les Turcs ont donné au peuple du Kaiser un libre passage de Constantinople au Golfe Persique. Les nouveaux occupants de la Palestine et de la Mésopotamie ne seront pas tout aussi accommodants.

Personne n'a encore pensé sur le sort à réserver au Constantinople elle-même : elle aurait dû être la propriété du Tsar, mais le pauvre Nicholas se serait contenté de beaucoup moins de nos jours. Il s’avère que l’Angleterre est en train de construire soigneusement un mur contre l'« agression » allemande le long d'une ligne que les Allemands regardèrent avec cupidité il y a de nombreuses années... Il y a vraiment des arguments contre une divulgation précipitée des « objectifs de guerre » des alliés : une excellente raison pour se taire, est que les Alliés ne savent pas combien [d’objectifs] ils peuvent viser avec une perspective de pouvoir les atteindre. »

Il semble qu’à l’époque l'Irlande fut totalement en phase avec les ambitions impérialistes britanniques dans le monde, et tout à fait en harmonie avec le fondamentalisme chrétien qui les accompagnait.

L'une des principales raisons pour lesquelles la Grande-Bretagne est entrée dans la guerre européenne en août 1914 fut de profiter de la possibilité d’enlever la Mésopotamie et la Palestine aux Turcs. Bien sûr, il y avait un problème - la Turquie n'était pas partie prenante à cette guerre à ce moment-là. Il a fallu deux mois pour la Grande-Bretagne pour trouver un « casus belli ». Mais il l'a fait le 5 novembre sur un obscur incident dans la mer Noire, et la conquête des territoires de l'Empire Ottoman fut enclenchée.

Avec la conquête des territoires de l'Empire Ottoman il y avait un autre projet, qui tenait au cœur de l'Angleterre libérale. C’était le projet de planter une colonie juive en Palestine pour des fins impérialistes britanniques. Il y avait bien entendu un mouvement sioniste qui avait le même objectif de création d'un état national. Mais les nationalistes juifs n'avaient pas le pouvoir de le réaliser eux-mêmes dans la région.

Au cours du dix-neuvième siècle, une impulsion chrétienne sioniste se développa au sein de la branche Non conformiste du protestantisme en Angleterre (ceux qui refusaient la doctrine de l’Eglise anglicane, comme les Presbytériens et les Puritains qui furent à l’origine des Chrétiens sionistes, Ndt). Leur lecture de la Bible engendra une familiarité, et induira un fort intérêt, avec et dans l’idée d’une renaissance de la Terre Sainte et de la création d'une nouvelle Jérusalem. Il y avait une croyance encouragée par la lecture de l'Ancien Testament selon laquelle le retour du Christ dépendait du retour des Juifs dispersés à la terre de leurs ancêtres. Aussi, ce qui arriva à la Terre Sainte compta pour l'Angleterre chrétienne fondamentaliste, car beaucoup de promesses messianiques et de prédictions millénaristes en dépendaient.

Il n'y avait rien de ridicule dans la croyance et le désir que la puissance impériale pourrait être utilisée pour provoquer la fin de l'histoire et la Seconde Venue. D’ailleurs, des Catholiques irlandais comme Tom Kettle et Francis Ledwidge, commencèrent à voir les choses de la même façon qu'ils se sacrifièrent pour la cause.

Il y avait un autre facteur qui exerça une attraction gravitationnelle sur l'Angleterre en provenance de la Terre Sainte. Depuis la rupture avec Rome, l’Eglise de l’Angleterre manquait d’un foyer spirituel. L'Eglise catholique avait rebâti le foyer spirituel de la chrétienté à Rome, mais lorsque Henry VIII fit de lui-même le Pape des Anglais, il dut se contenter de Canterbury (une ville au sud-est de l’Angleterre qui est depuis le XVIe siècle le siège du chef spirituel de l’Eglise de l’Angleterre et de la Communion anglicane, Ndt).

Plus les Protestant anglais lisaient leurs Bibles, plus ils aspiraient à leur propre foyer spirituel – dans les Lieux Saints originels en Judée et Samarie. Et qu’est ce qui serait une meilleure riposte à Rome que de montrer son inauthenticité spirituelle en prenant le dessus avec la pièce maitresse (en s’emparant de Jérusalem, Ndt).

Le sionisme chrétien fit son chemin dans les classes politiques de l’état britannique quand les Non-conformistes arrivèrent au pouvoir politique, et il devint une partie de la culture politique de l’Angleterre libérale malgré le fait que le Darwinisme semblait saper l’impulsion religieuse vers la fin du siècle.

Sous l’influence d’Herbert Sidebotham, un éminent journaliste libéral, et Charles Prestwich Scott, l’influent rédacteur en chef du « Manchester Guardian », on créa l’Ecole de Manchester du Sionisme Chrétien. Les chefs du nationalisme juif en Angleterre, Dr. Weizmann et Harry Sacher, furent eux-mêmes originaires de Manchester, et la ville devint le centre d’un projet sioniste impérial.

La colonie juive proposée en Palestine fut une construction britannique conçue comme une fondation de l’hégémonie impériale, et comme un autre état tampon entre l’Inde et ses ennemis potentiels. Cette colonie mettrait un terme, à tout jamais, à l’idée d’une ligne ferroviaire de Berlin à Bagdad, et freinerait toute ambition que le nouveau rival potentiel, la France, pourrait avoir dans la région.

La déclaration de Balfour fut publiée en 1917 alors que Jérusalem était sur le point de tomber dans les mains de l’Empire. Lloyd George, le Premier Ministre qui l’autorisa, fut élevé par un oncle, un prédicateur laïc dans l’Eglise baptiste millénariste, et « fut éduqué dans une école où l’on enseigna beaucoup plus l’histoire des Juifs que l’histoire de ma propre patrie ».

En 1903, alors qu’il était un simple député du Parlement, il dessina un plan de colonisation juive (« Jewish Colonisation Scheme ») pour Théodore Herzl, le fondateur du mouvement sioniste.. La colonie prévue devait se situer en Afrique de l'Est britannique, mais en 1917, la vraie chose devint possible.

Le Premier ministre n'était pas seul. Sur les dix hommes qui faisaient partie de son cabinet de guerre à un moment ou à un autre, il y en avait sept qui venaient des familles Non-conformistes. Trois furent les fils ou petits-fils des prédicateurs évangélistes. Ils avaient tous une relation étroite avec l'Ancien Testament et les gens du livre.

Les mémoires du Commandant Vivian Gilbert furent publiés en 1923 sous le titre de « La Romance de la Dernière Croisade - Avec Allenby à Jérusalem » (« The Romance of the Last Crusade - With Allenby to Jerusalem »). Ils commencèrent avec un morceau sur le roi Richard Cœur de Lion et Sir Brian de Gurnay chevauchant loin de Jérusalem, après leur échec à s’emparer de la ville :

«  Dans le cœur de Sir Brian de Gurnay, il y avait l’idée d’une autre et une dernière Croisade qui arracherait pour toujours les Lieux Saints aux mains des infidèles » (page 1)

Le titre du chapitre XII du livre du Commandant Gilbert fut « Quand les prophéties se réalisent » et il fut à propos de la prise de la Ville Sainte :

«  Enfin, Jérusalem était entre nos mains ! Dans les dix Croisades organisées et équipées pour libérer la Ville Sainte, deux seulement furent vraiment un succès, - la première menée par Godefroy de Bouillon, et la dernière par Edmund Allenby... puis voilà, nous nous sommes retrouvés à l'intérieur des murs eux-mêmes - les premières troupes britanniques à marcher dans la Ville Sainte !... Je me suis rappelé d’un vieil hymne que j'ai lu il y a plusieurs années. Elle fut écrit par Saint Augustin, ou à partir de ses paroles, et fut transmis de bouche à oreille dans les moyens âges afin d’encourager le recrutement pour les Croisades... Alors que je parcourais Jérusalem, les mots étaient sur mes lèvres ... Nous étions fiers que Jérusalem, après avoir langui pendant plus de quatre cents ans sous le joug turc, allait enfin être libre... Mais par-dessus tout, nous avions une grande foi inébranlable en Dieu, dont la miséricorde nous a accordé cette victoire... pour libérer la Terre Sainte pour toujours, pour ramener la paix et le bonheur à un peuple longtemps opprimé ! » (pages 171-177)

Avec la progression des Britanniques vers Jérusalem, beaucoup d'entre eux commencèrent à se voir comme des participants à la dernière Croisade. Tout le fondamentalisme chrétien absorbé par les gentlemen anglais dans leur éducation biblique dans les écoles privées prestigieuses (« Public Schools ») jaillit dans une grande flambée. Ils venaient de reconquérir la Terre Sainte pour la chrétienté, après 700 ans d'occupation musulmane. Et que serait la Ville Sainte et la Nouvelle Jérusalem sans les Juifs ?

Le nationalisme irlandais entra en alliance politique avec les Non-conformistes dans le mouvement libéral « Home Rule » (un régime politique créant un parlement irlandais et accordant une autonomie à l’Irlande au sein du Royaume Unis, Ndt), et les Irlandais entrèrent en alliance militaire avec eux en 1914. En 1917, les Redmondites (les fidèles de John Edward Redmond qui fut député irlandais et chef du Pari Irlandais Parlementaire de 1900 à 1918, Ndt) devinrent des simples porte-paroles des intérêts impériaux britanniques, et ne formulèrent aucune critique sur ce qui se passait les concernant même. Et, bien sûr, John Dillon était un ami personnel et un confident du chef sioniste libéral Charles Prestwich Scott. Ainsi, l'« Irish News » de Joseph Devlin ne voyait rien de mal dans la colonisation, le nettoyage ethnique et la partition qui fut planifiée pour la Palestine, malgré le fait « d’en savoir quelque chose en Irlande ».

Traduit par IA.



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