https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/gilets-jaunes/comment-priscillia-ludosky-s-est-imposee-comme-la-force-tranquille-des-gilets-jaunes_3107983.html
Comment Priscillia Ludosky s'est imposée comme la force tranquille des Gilets Jaunes
Depuis plusieurs jours, le visage de l’habitante du département de la Seine et Marne a peu à peu éclipsé Eric Drouet et Maxime Nicolle, les deux autres figures emblématiques du mouvement. Elle est à l'origine d'une pétition sur le prix des carburants, à laquelle Emmanuel Macron vient de répondre.
Cela faisait des semaines que Priscillia Ludosky attendait ce rendez-vous. Le 28 novembre 2018, toutes les caméras de télévision sont réunies dans la cour du ministère de la transition écologique, à Paris, pour capter l'arrivée de cette représentante des Gilets Jaunes, venue avec son acolyte Eric Drouet.
Depuis le succès de sa pétition pour une baisse des prix du carburant à la pompe, un mois plus tôt, elle demandait à être reçue par le gouvernement. Sous pression, l'exécutif a fini par ouvrir au duo les portes de l'hôtel de Roquelaure. « Je me suis dit que cela y est, nous y sommes et il ne faut pas se démonter », se souvient-elle pour France Info, Mardi 18 Décembre 2018, alors qu'elle nous reçoit chez elle.
Pendant près de deux heures, cette trentenaire liste les revendications autour desquelles se sont fédérés les Gilets Jaunes. Face à elle, il y avait le ministre François de Rugy, les secrétaires d'Etat Emmanuelle Wargon et Brune Poirson, ainsi qu'une poignée de conseillers. L'odeur des petits fours, posés devant elle, l'attire. « J'ai toujours aimé les pâtisseries et ils avaient l'air trop bons », plaisante-t-elle, « pourquoi ne pas céder à la tentation. Ce n'était pas un rendez-vous « on s'appelle, on se fait une bouffe ». Il faut se rappeler que nous n’étions pas venus en amis ».
Aux côtés de Priscillia Ludosky, il y avait Eric Drouet. Ils ont fait cause commune contre l'augmentation du prix des carburants. « Eric Drouet m'a envoyé un message sur Facebook, à la mi-octobre 2018 », dit Priscillia Ludosky, « c’est devenu un ami, on peut dire cela ». Pourtant, les deux Gilets Jaunes de trente trois ans n'emploient pas les mêmes mots à la télévision. Interrogé par BFM Télévision sur ce qu'il ferait s'il parvenait devant l'Elysée lors du quatrième acte, Eric Drouet s'est rendu célèbre par sa réponse, « on rentre dedans ». « C’était une maladresse de communication », dit Priscillia Ludosky, « je me suis dit merde, c’est dommage car ce n'est pas ce qu'il veut faire. Quand on est sur un plateau, il y a des gens qui vous poussent dans une direction, après il faut savoir s'en sortir ». Sollicité, Eric Drouet n'a pas donné suite à nos demandes.
Priscillia Ludosky est proche d'un autre Gilet Jaune à la réputation sulfureuse pour ses propos conspirationnistes, Maxime Nicolle. Surnommé Fly Rider, il est très actif sur Facebook, où son groupe compte plusieurs dizaines de milliers de membres. « Parler de liens d'amitié, c'est un peu tôt. Mais j'ai de bonnes relations avec Priscillia Ludosky et avec Eric Drouet », dit Maxime Nicolle à France Info, « nous avons décidé, en concertation, que c'est Priscillia Ludosky qui ferait les plateaux de télévision, car elle se débrouille bien. C'est la force tranquille. La touche de féminité qui calme les ardeurs masculines. C'est un des visages qui émergent car c'est madame tout-le-monde et elle n'a pas d'intérêts personnels. Eric Drouet, lui, est quelqu'un de terrain. Moi je passe pour quelqu'un de complotiste. Nous nous complétons », dit cet intérimaire de trente et un ans originaire des Côtes-d'Armor. « Nous sommes d'accord sur le fond, mais nous avons chacun des différences de style et de caractère », dit Priscillia Ludosky.
Une analyse que ne partage pas Jacline Mouraud. « C'est un petit groupe qui joue les dictateurs », critique cette autre figure médiatique des Gilets Jaunes, contactée par France Info. La bretonne n'a jamais échangé un seul mot avec Priscillia Ludosky. Si elle reconnaît que la pétition de Priscillia Ludosky est très bien, elle déplore l'attitude de Priscillia Ludosky, de Maxime Nicolle et d’Eric Drouet. « Ils sont intransigeants sur les personnes qui pourraient prendre part à ce mouvement, alors que tous les citoyens français ont le droit de prendre la parole », dit-elle. Jacline Mouraud va même plus loin, « quand j'ai subi des menaces, la majeure partie venait du groupe de la France en Colère qu'ils administrent ».
Priscillia Ludosky semble pourtant loin d'être une meneuse belliqueuse. Elle vit dans un appartement paisible de Savigny-le-Temple, une ville de Seine-et-Marne reliée à Paris par trois quarts d'heure de RER, où elle écoute les textes des rappeurs Kery James, Youssoupha ou Médine et où elle organise des soirées pyjamas avec des amies. Elle nous reçoit dans son salon à la décoration épurée. Un canapé en cuir et une table noire au milieu de laquelle reste allumé un ordinateur portable. C'est ici qu'elle a rédigé, au mois de mai 2018, sa désormais célèbre pétition, à laquelle Emmanuel Macron a fini par répondre, Jeudi 20 Décembre 2018.
Jusqu'à l'automne, le document ne cumule que quelques centaines de signatures. Puis Vanessa Relouzat, journaliste à la République de Seine-et-Marne, découvre son initiative sur Facebook.
« Ce n'est pas une personnalité connue dans la ville et c'était la première fois que je la contactais », dit-elle à France Info, « j’ai découvert une madame tout-le-monde, qui ne se laisse pas impressionner pour autant ».
Priscillia Ludosky donne déjà l'impression d'avoir confiance en elle et en son initiative. Dès la mi-octobre 2018, elle avait demandé à la mairie de relayer sa pétition dans la Feuille, le journal communal. On lui répond que cela n'entre pas dans la ligne éditoriale. Elle est finalement reçue par le cabinet de la maire socialiste de Savigny-le-Temple. « On m'a demandé si on pourrait collaborer ensemble si j’acceptais de parler à des députés », dit Priscillia Ludosky. « On lui a juste dit que, si elle voulait rencontrer un député, on pouvait l'organiser. C'était une discussion anodine, le ton était cordial », assure à France Info une source proche de la mairie, qui a trouvé que Priscillia Ludosky était mystérieuse. « Elle a répondu qu'elle voulait rester apolitique et que c'était dommage de ne pas publier sa pétition dans le journal, car sa pétition allait faire du bruit », ajoute cette source.
Bien vu, après avoir été relayée par de nombreux médias, sa pétition cumule un million cent cinquante cinq mille signatures et devient l'une des plus signées de France. La Feuille finit par lui accorder un portrait dans son édition du mois de décembre 2018. C’est fini la tranquillité. Posé sur la table du salon, son téléphone sonne sans discontinuer. Plus le temps d'aller à la salle de sport, où elle se rendait quatre fois par semaine.
« Mais les médias, c'est un autre sport », ironise-t-elle. Elle note tous ses rendez-vous dans un carnet. Elle a été sollicitée par presque tous les médias français et même étrangers, la BBC, la RAI, une chaîne portugaise et des télévisions en Suisse alémanique et italienne. Elle refuse rarement un passage à la télévision et, hormis deux mystérieuses semaines d'absence au début du mois de décembre 2018 sur lesquelles elle refuse de s'expliquer, elle répond aux questions sans sourciller.
Sur les plateaux de télévision, Priscillia Ludosky conserve ce calme à toute épreuve. « Je l'ai connue quand elle avait une vingtaine d'années et elle était déjà comme cela, elle ne hausse jamais le ton », explique à France Info Sandrine, une ancienne collègue devenue amie. Lorsqu'elle est prise à partie par Thibault Lanxade, directeur du groupe Jouve, en direct sur CNews, Lundi 17 Décembre 2018, elle ne flanche pas. « Mais vous êtes stupide ou vous faites exprès de poser des questions bêtes systématiquement », dit-elle.
« Cela a été un peu musclé », concède-t-elle dans un léger sourire, lorsqu’on évoque l'épisode, « mais je suis d’un naturel plutôt posé et je ne stresse jamais au sujet de la personne que je vais avoir devant moi », même lorsqu'elle fait face à Jean-Jacques Bourdin, un intervieweur connu pour pousser ses invités dans leurs retranchements. D'ailleurs, à quoi pense Priscillia Ludosky, dans sa loge, lorsqu'elle se fait maquiller avant ses passages à la télévision, « je me dis seulement que les cosmétiques ne sont pas bio, ce n'est pas bon pour ma peau ».
Car les cosmétiques naturels, c'est sa nouvelle marotte. Depuis un peu plus d'un an, Priscillia Ludosky vend, sur internet, des cosmétiques bios, elle dispense des conseils en aromathérapie, elle gère un annuaire des artisans de la cosmétique responsable, elle se prépare à lancer son propre gloss et elle a même créé une application pour organiser des événements. Autant de projets développés après des formations en ligne et des stages. Elle travaille depuis chez elle et a emménagé l'entrée de son appartement. Chaque flacon de cosmétique naturel y est rangé dans une boîte étiquetée, aligné sur des étagères en fer.
« Je suis en pleine transition », dit Priscillia Ludosky, « je fabrique mon propre shampoing, par exemple ». Cela est-il une démarche écologiste ? « Tout dépend de ce que vous mettez derrière le mot écologiste. Je veux juste consommer plus sainement », répond celle qui se dit favorable aux biocarburants et qui a fait pousser un petit potager pour la première fois sur son balcon l'été dernier. « J'avais plein de tomates et j'étais contente de manger ce que j'avais fait pousser », s'enthousiasme celle qui n'a connu que la vie urbaine entre un pavillon à Villiers-le-Bel, dans le département du Val-d'Oise, jusqu'à seize ans, puis Savigny-le-Temple.
« Si je n'avais pas peur de quitter la ville et toutes ses activités, j'irais me mettre au calme, dans un petit coin reculé. Cela me plaît, cette vie tranquille, où on est loin de l'agitation », dit la jeune femme qui a quitté l'an dernier la banque où elle travaillait depuis ses vingt ans, après un BTS en commerce international. Elle y occupait un poste de rédactrice de garanties internationales. « C’était un métier par défaut. J'avais besoin d'argent. A l'époque je voulais travailler en pâtisserie. Je suis gourmande de nature. Mais j'ai suivi ce que ma mère m'a dit », dit Priscillia Ludosky à France Info.
Car cette trentenaire, célibataire et sans enfant, est issue d'un milieu modeste. Sa mère était un temps hôtesse de caisse, puis mère au foyer, tandis que son père était employé de mairie. Tous les deux sont originaires de Martinique, où elle a encore de la famille. Elle reste marquée par les vacances qu'elle y a passées.
« Tout y est très cher, il faut renoncer au moindre petit plaisir. J'ai constaté des injustices et j'ai été choquée assez jeune du coût de la vie », explique-t-elle sans cesser de triturer son collier coloré. Elle a aussi deux sœurs et un frère, dont certains ont manifesté avec elle les deux premiers jours. Toute sa famille la soutient aujourd'hui, assure-t-elle.
Difficile de trouver quelqu'un pour dire du mal d'elle. Même Benjamin Cauchy, figure des Gilets Jaunes en Haute-Garonne, chahuté depuis les révélations sur son passé politique entre l'UMP et la droite nationaliste, ne tarit pas d'éloges.
« C'est une jeune femme qui a des idées et un leadership naturel. Priscillia Ludosky fait de la politique, mais plus marquée à gauche, ce qui est respectable aussi. Personne n'a le monopole des Gilets Jaunes, ni elle, ni moi. Mais elle a une vraie légitimité pour être porte-parole, qu'elle tire de sa pétition », dit-il à France Info.
Quand on lui parle d'une liste des Gilets Jaunes aux élections européennes, Priscillia Ludosky secoue la tête, « pas du tout, je ne veux pas faire de politique ». Elle vote blanc, souvent, et elle juge que les partis sont trop dans la promesse, avec un discours de gourou malsain. « Si elle a des intérêts contraires à ceux des autres, elle va opter pour ce qui est le mieux pour tout le monde. C'est quelqu'un de très altruiste », jure son amie Sandrine.
A en croire Priscillia Ludosky, son intérêt pour les autres existait bien avant les Gilets Jaunes. « Je suis pour qu'on s'exprime davantage. Quand je travaillais à la banque, j'avais comme projet de développer une application pour mettre en place des référendums », raconte-t-elle. Elle a établi un devis mais elle a abandonné cette idée, qui coûtait trop cher. Compte-t-elle profiter de l'opportunité que constituent les Gilets Jaunes pour relancer son projet ? « Non, c'est complètement au point mort », assure-t-elle.
La question de la démocratie directe est, en tout cas, au cœur des revendications des Gilets Jaunes. Armés d'un mégaphone, Samedi 15 Décembre 2018, Priscillia Ludosky, Eric Drouet et Maxime Nicolle ont lu un texte regroupant leurs trois ultimes demandes, baisser les taxes sur les produits de première nécessité, réduire les indemnités et les pensions de retraite des élus et, surtout, modifier la constitution pour mettre en place des Référendums d’Initiative Citoyenne (RIC), un scrutin non pas convoqué par le pouvoir, mais par une action populaire.
« La seule chose que nous demandons maintenant, c'est un référendum. Je ne comprends pas comment Emmanuel Macron peut encore refuser cela », dit Priscillia Ludosky, accoudée à la table de son salon. Même si une défaite de l’exécutif pourrait contraindre le chef de l’état à la démission ? « Je n'y avais pas pensé, mais si cela doit se passer comme cela », dit-elle. Songe-t-elle réellement à marquer l’histoire de la cinquième république ? « Nous sommes déjà dans une forme de révolution », dit-elle.