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2 août 2016 2 02 /08 /août /2016 13:42

http://www.liberation.fr/planete/2016/06/27/carles-puigdemont-monsieur-catalexit_1462406

Catalexit

Par François Musseau, correspondant permanent de Libération à Madrid

Lundi 27 Juin 2016

Séparatiste, le président de la Catalogne espère que le nouveau pouvoir espagnol permettra l’indépendance.

Il est arrivé en retard, bien en retard, alors il s’excuse à plates coutures. Carles Puigdemont est un homme poli et policé, épris de bonnes manières et d’une naturelle courtoisie. Il ne faut pas lui en vouloir, en cette fin d’après-midi, le président de la Catalogne se trouve coincé dans l’hémicycle du parlement régional. Le combat dont il est le protagoniste n’a rien de très réjouissant. Les députés de son camp tentent de ficeler le délicat budget annuel et doivent pour cela négocier le moindre chiffre avec leurs alliés contre-nature de la Candidature d'Unité Populaire (CUP), une coalition anticapitaliste et antisystème. On lui pardonnera donc, et de bon cœur. D’autant que cet homme qui ressemble comme deux gouttes d’eau au sélectionneur allemand, Joaquim Löw, cinquantaine fringante et chevelue, bien plus poivre que sel, énergie contagieuse et un quelque chose de juvénile dans le regard, semble de prime abord s’excuser d’exercer la fonction suprême de son pays. Précisons que, pour les nationalistes catalans, une bonne moitié des sept millions d’habitants, a fortiori les séparatistes comme lui, la notion de pays est aussi émotionnelle qu’indiscutable. Le monologue est le suivant, « je suis d’essence catalane et de circonstance espagnole. Autrement dit, j’appartiens, bien malgré moi, à un état que je n’ai pas choisi ». Carles Puigdemont semble s’excuser, oui, il est par nature timide et modeste. Il a beau arborer d’élégantes lunettes et un impeccable veston noir sur chemise blanche, c’est comme si l’habit de président de la Generalitat, l’exécutif catalan, à Barcelone, était trop grand pour lui. « En tout cas, il faut s’y faire et apprendre. C’est un grand honneur ».

Il ne s’y attendait pas. En janvier, le « normal » Carles Puigdemont, maire de Gérone, est catapulté à la présidence de la Catalogne. On a pensé à lui pour remplacer le sulfureux Artur Mas, calife régional depuis 2010 qui ne faisait pas l’unanimité dans les rangs de la coalition indépendantiste au pouvoir. Casier judiciaire vierge, sympathique et dialoguant, il a tout pour plaire. Le voici donc intronisé et le paradoxe n’est que plus flagrant. Il n’a rien du « Moïse catalan » aux harangues messianiques qu’était Artur Mas. Et pourtant, Carles Puigdemont est entré en fonction avec un mandat clair, obtenir enfin l’indépendance de cette région pas comme les autres, où depuis un bon millénaire les velléités n’ont jamais manqué de se tailler un destin propre. « Cent vingt neuf présidents de la Generalitat m’ont précédé au cours de notre histoire. Mais je suis le premier choisi pour conduire mon pays vers la liberté ». Il prononce une phrase, pas une sentence. Pas étonnant, si Artur Mas s’est converti au séparatisme par calcul politique, Carles Puigdemont est tombé lui dans la marmite depuis tout petit. Anti franquiste dès l’âge de douze ans, ce fils et petit-fils de pâtissiers rêva vite de divorce avec l’Espagne. Adolescent, dans son village d’Amer près de la très catalanophone Gérone, son oncle Josep Puigdemont l’emmène à des meetings sécessionnistes. « Je ne ressens pas de haine contre l'état espagnol, mais un immense amour pour ma patrie. Dans les couples en conflit, la séparation est souvent la meilleure solution ». Carles Puigdemont est un vrai de vrai, acquis à la cause.

Après avoir voulu décoller dans l’espace, il se voyait astronaute, et dans les sons, longtemps bassiste amateur, il adhère à sa terre. Linguiste militant, il décroche un diplôme en langue catalane, monte une association culturelle et prend racine à Gérone.

Cette idéologie sentimentale qui arrive aujourd’hui à défier Madrid, Carles Puigdemont y a largement contribué. Depuis 2006, lorsqu’il devient député de Convergència, une formation de centre droit qui ne cessera de se radicaliser contre le diktat espagnol, il a connu toutes les étapes de cette dynamique centrifuge qui terrifie une majorité d'espagnols. Lui-même psalmodie les étapes de cette passion. D’abord le refus du tribunal constitutionnel, en 2010, d’accorder une nouvelle autonomie à la Catalogne. Ensuite, les marches monstrueuses de la diada, fête régionale annuelle dans les rues de Barcelone, depuis 2012.

Et puis le référendum illégal de l’automne 2014, reflétant un désir majoritaire de rupture, même si la participation fut basse. Sans oublier le défi sécessionniste de l'association des municipalités catalanes, dont il a été élu président en 2015. Et encore, au mois de septembre 2015, le scrutin régional donnant une courte victoire à la coalition séparatiste.

« En 2012, nous avions quatorze députés pour la rupture. Aujourd’hui, nous en avons soixante douze. Il faudrait peut-être nous prendre au sérieux ». Arithmétiquement, son parti serait idéal pour construire une coalition au niveau national après les élections législatives du Dimanche 26 Juin 2016. Mais, politiquement, pour les autres, c’est un casse-tête.

Après le Brexit, le Catalexit, « le Brexit est la preuve qu’on peut parfaitement prendre en Europe des décisions souveraines », réagit-il.

« Les voyages soignent le nationalisme », dit-on souvent à Madrid pour moquer le virus sécessionniste. La maxime ne s’applique pas à lui. Carles Puigdemont a parcouru beaucoup de pays pour rédiger un livre sur « les nations sans état ». Il a cheminé en curieux viscéral, dans toutes les aires du journalisme, de simple reporter à rédacteur en chef du journal catalan el Punt. Il a bourlingué comme entrepreneur médiatique, créateur de l'Agència Catalana de Noticies (ACN) en 1999, une agence de presse, puis à la tête de Catalonia Today, un journal anglophone. Il a voyagé en Roumanie, pays d’origine de sa compagne, Marcela Topor, journaliste de télévision de quinze ans sa cadette qui s’exprime dans un très bon catalan.

Il l’a rencontrée à Gérone lors d’un festival de théâtre. Ils ont deux filles, Magali, huit ans, et Maria, six ans. Il accepte, pour faire plaisir à cette croyante fervente, d’observer les Pâques et le Noël orthodoxe. Fan de nouvelles technologies, twitto incontinent, Carles Puigdemont dit voir loin.

Dans son entourage, on aime le définir comme un visionnaire efficace. Il le sait, la séparation d’avec l’Espagne est un projet fou. De Jean Claude Juncker à Angela Merkel, les grands d’Europe ferment leurs portes à ce trublion centrifuge. Lui persiste et signe. Pragmatique, « avant d’organiser un référendum, il faut consolider une majorité sociale favorable à la rupture ».

Courageux, peut-être, « s'il le faut, j’y laisserai ma peau. Je ne suis en politique que pour cela ».

Inconscient, sûrement, « si je dois choisir entre l’obéissance à une décision du tribunal constitutionnel espagnol, corrompu et espagnoliste, ou à la volonté du peuple catalan, je n’hésiterai pas une seconde ». Quitte à risquer le cachot. En catalan, Puigdemont signifie « cime de la montagne ».

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