MANDAT UNIQUE DE CINQ ANS
Vous trouverez ci-dessous la première partie d’un très long message du Monde relatif aux derniers mois de la présidence de François Hollande.
Le message est disponible en totalité si vous consultez le site internet du Monde à l’adresse ci dessous.
Bernard Fischer
http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2017/article/2016/12/02/et-hollande-renonca-a-se-representer_5042285_4854003.html
ET FRANCOIS HOLLANDE RENONCA A SE REPRESENTER
Par Raphaëlle Bacqué, Bastien Bonnefous et Ariane Chemin
Le président de la république est en avance. Jeudi Premier Décembre 2016, la salle des fêtes de l’Elysée regorge d’invités et, fait inhabituel, François Hollande est arrivé quinze minutes avant l’horaire prévu, à 17 heures 45, pour décorer de la Légion d'Honneur six personnalités qui patientent déjà.
Depuis le matin, son agenda était resté étrangement vide. Une célébration en l’honneur des médaillés des jeux olympiques et paralympiques de Rio de Janeiro, à 11 heures, et puis plus rien jusqu’à cette cérémonie, sous les tentures rouge et or.
A peine a-t-on noté qu’il flotte, dans ce vaste salon illuminé, comme un petit air de nostalgie, un vague souvenir de moments d’insouciance et un bref retour aux sources. A côté de l’ancien patron Bernard Attali et de l'ancien ministre socialiste Thierry Repentin, qui attendent leur médaille, se tiennent deux hommes qui ont accompagné les premiers pas de François Hollande à l’Elysée, quatre ans et demi plus tôt.
Le premier est photographe, c’est Raymond Depardon. Il est l’auteur du cliché officiel du président, celui qui orne toutes les mairies de France, curieuse image d’un chef de l'état un peu raide, dans l’ombre projetée de son palais, au loin. Le second retrouve ce soir sa maison, c’est l’ancien secrétaire général de l’Elysée, Pierre-René Lemas, qui, au lendemain de l’élection présidentielle de 2012, avait quitté le Sénat pour rejoindre un chef de l'état novice. François Hollande plaisante en retraçant la carrière de son camarade de promotion de l’Ecole Nationale d'Administration (ENA) au fil des changements de majorité, « je parle du passé, bien sûr, il n’y aura pas d’alternance à venir ».
Le président de la république salue les familles et les amis, mais il ne s’attarde pas. Lorsque la communicante Marie-France Lavarini, fidèle d’entre les fidèles, l’une des rares à continuer à pousser sa candidature, veut l’interroger, il pose une main sur son bras et met un doigt sur sa bouche, pour décourager toute question.
Personne dans la petite assemblée ne se doute que, une heure plus tard, le chef de l'état va s’adresser aux français. Seul le cercle étroit de ses plus proches amis, le secrétaire général Jean-Pierre Jouyet et son conseiller en communication Gaspard Gantzer, a été prévenu en fin de matinée par le chef de l'état. Il annoncera le soir même à la télévision sa décision, se représenter à la présidence de la république, ou renoncer à un second mandat.
Le studio qui sert habituellement de décor aux comptes rendus du conseil des ministres, de l’autre côté de l’aile est du palais, a été réservé pour un direct à 20 heures. Gaspard Gantzer a reçu pour consigne de ne rien laisser filtrer. Mais il n’a pas eu besoin de mots pour que le reste du cabinet comprenne, le président lancerait-il sa candidature dans ce décor à la fois si solennel et si froid ?
Depuis des semaines, le sujet a été si rebattu, dans le secret des bureaux et des couloirs du palais, qu’il a fini par lasser. Les indices semés semblent conforter la thèse d’une prochaine entrée en campagne. Le président a ainsi laissé son ami Julien Dray organiser, Mardi 29 Novembre 2016, à la Bellevilloise, dans le vingtième arrondissement de Paris, une soirée de mobilisation de la société civile en sa faveur. Cinq jours plus tôt, devant les journalistes de l'Observateur, il a détaillé l’une des mesures phares de son prochain programme présidentiel, le patrimoine universel pour tous, plus égalitaire qu’un revenu universel.
De suppositions contradictoires en conjectures, personne ne sait plus quoi penser. Chaque fois qu’ils viennent rendre visite à François Hollande dans son bureau, Julien Dray ou le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, ressortent gonflés à bloc, persuadés que le président est déterminé à repartir à la bataille.
Chaque fois qu’elle dîne avec son ancien compagnon, Ségolène Royal déroule son argumentaire pour le persuader de renoncer. Une défaite à l’élection primaire le laisserait humilié, dit-elle.
Depuis l’été, à chacune de ses visites, elle plaide et plaide encore et quitte toujours le président convaincue qu’il n’ira pas.
Plusieurs vieux amis sont favorables à une nouvelle candidature. L’avocat Jean-Pierre Mignard conseille de renoncer ou de passer en force, sans se plier à l'élection primaire. Mais les quatre enfants du président, et notamment Thomas Hollande, sont résolument contre. Ils refusent de voir leur père se lancer dans une bataille perdue d’avance.
François Hollande paraît lui-même traversé par ce dilemme. Un jour, avec l’ancien ministre François Rebsamen, il a passé en revue tous les risques d’une nouvelle candidature et la liste était si longue qu’elle paraissait rédhibitoire. Mais lorsque le secrétaire général de l’Elysée, Jean-Pierre Jouyet, a confié un soir qu’il faudrait peut-être laisser une nouvelle génération partir au combat, le chef de l'état a sursauté comme sous la morsure de la trahison.
Les derniers mois ont pourtant été un calvaire, une longue désillusion et un divorce peu à peu éclatant et irréversible entre le président et l’opinion, le président et ses anciens alliés et le président et son premier ministre. Depuis le 29 août 2016, lors d’un meeting organisé par les hollandais pour lancer la nouvelle candidature présidentielle, à Colomiers, Manuel Valls donne d’inquiétants signes d’indépendance. Il s’y proclamait « premier ministre et libre, premier ministre mais libre ».
Depuis, le doute s’est insinué comme un poison dans l’esprit des proches de François Hollande, se pourrait-il que Manuel Valls ne soit pas loyal ?
Ce caillou n’a été que le premier sur le chemin semé d’embûches du président. Le lendemain, 30 août 2016, Emmanuel Macron démissionne. Le ministre de l’économie était le plus populaire du gouvernement, la figure moderne sur laquelle François Hollande comptait pour ramener vers lui des voix centristes. Son départ devient le signe d’un aveuglement du chef de l'état et un aveu d’irrémédiable faiblesse.
Même dans l’entourage du président, d’aussi fervents supporters que le communicant Robert Zarader, qui passait chaque samedi à l’Elysée, ou Philippe Grangeon, le directeur de la communication de Cap Gémini, paraissent désormais séduits par le jeune candidat.
Mais tout bascule vraiment le 13 octobre 2016. Ce jour-là, François Hollande fait la une de l'Observateur. « Je suis prêt », lâche-t-il en couverture de l’hebdomadaire. L’interview ressemble à une longue profession de foi en prévision des élections présidentielles.
Curieusement, pas une question sur le livre publié le même jour par deux journalistes du Monde et dont les bonnes feuilles sont parues dans le Parisien et dans l'Express. « Un président ne devrait pas dire cela », gronde le titre de l’ouvrage de Gérard Davet et de Fabrice Lhomme, comme un reproche à un enfant pris en faute.
Envolé au Canada, Manuel Valls lit le livre d’une traite dans l’avion qui le ramène à Paris. Il est choqué par les confessions sans tamis de François Hollande, une manière qu’il considère comme une rupture avec l’exercice du pouvoir.
« Je suis d’accord pour qu’un président soit transparent, mais mettre le haut-parleur devant des journalistes pendant des conversations avec des chefs d'état étrangers ou avec des responsables politiques, pour moi, cela ne passe pas », explique-t-il quelques jours plus tard.
Le 18 octobre 2016, le dîner traditionnel de la majorité à l’Elysée autour du chef de l'état laisse exploser les rancœurs. Furieux des propos tenus par François Hollande et rapportés par les journalistes dans leur livre, le président évoque la colère de Claude Bartolone contre l’enquête d’une juge sur un soupçon d’emploi fictif le concernant, le président de l'assemblée nationale se fait porter pâle.
Mais le ton monte entre les autres convives. La publicité faite autour du livre de Gérard Davet et de Fabrice Lhomme est dévastatrice. Rue de Solférino, le premier secrétaire du Parti Socialiste, Jean-Christophe Cambadélis, a reçu des appels indignés d’une bonne partie des fédérations socialistes. « Tu as encore beaucoup d’autres surprises de ce genre », interroge Jean Christophe Cambadélis devant un chef de l'état qui fait l’étonné. Manuel Valls explose lui aussi, « arrête, personne autour de cette table ne t’a jamais fait défaut. Et que je sache, ce n’est pas nous qui avons écrit ce livre ».
L’Elysée s’attelle à déminer l’affaire. On explique que les phrases polémiques ont été sorties de leur contexte. « Quand on a connu ici le 7 janvier 2015 et le 13 novembre 2015, Charlie Hebdo et le Bataclan, les livres et les articles, cela nous passe au-dessus du cigare ». Les plus hollandais vont même jusqu’à expliquer que, au fond, ces confessions, pour qui se donne la peine de les lire, plaident pour le chef de l'état.
« J’ai lu le livre, je l’ai trouvé super », lâche Julien Dray. « C’est un formidable exercice de transparence politique et démocratique ».
A l’Assemblée Nationale, au Parti Socialiste et au gouvernement, la colère continue pourtant de gronder. Le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, est furieux qu’on puisse laisser des journalistes entendre les conversations téléphoniques qu’il tient avec le chef de l’état. Le ministre de la défense, Jean-Yves le Drian, qui découvre la mise au jour dans le Monde d’un projet de frappes aériennes en Syrie, n’en revient pas. Une enquête judiciaire a d’ailleurs été ouverte, depuis, à la suite de cette révélation. Déjà faible, la cote de popularité du président plonge à des niveaux inégalés dans les sondages.
La défiance gagne tous les camps. Le 20 octobre 2016, un appel, dont les initiateurs restent dans l’ombre, demandant à François Hollande de renoncer à une candidature aux élections présidentielles circule parmi les parlementaires socialistes. « C’est l’honneur d’un président de la république de mettre fin au suspense qui paralyse et glace le système et d’annoncer qu’il renonce à porter les couleurs de sa famille politique à la présidentielle », lit-on.
Quand les hollandais en entendent parler, ils soupçonnent aussitôt Manuel Valls d’être derrière. Ce dernier dément, mais aucun des proches du président ne le croit. Même le ministre Stéphane Le Foll, qui, jusqu’à présent, avait toujours jugé le premier ministre « loyal et correct », s’inquiète. Déchéance, loi travail, polémique sur le burkini et intransigeance sur le projet d’aéroport controversé à Notre-Dame-des-Landes, les lieutenants du chef de l’état accusent le premier ministre de l’avoir coupé d’une partie de la gauche avec ses rodomontades sécuritaires.
Le livre des deux journalistes vient cristalliser les passions et alimenter de sidérantes polémiques. « Manuel Valls aussi a participé à la rédaction du livre, il a reçu les journalistes chez lui, dans son appartement du onzième arrondissement de Paris », accuse-t-on du côté de François Hollande. Le nombre de pages où le premier ministre a la parole à leurs yeux en atteste, « Il y a dix neuf pages ».
L’avocat Jean-Pierre Mignard, qui, quelques mois auparavant, tressait des couronnes à Manuel Valls et lui avait demandé de préfacer son dernier livre sur Robert Kennedy, ne veut plus entendre parler du chef du gouvernement. La ministre de l’environnement, Ségolène Royal, bat froid Matignon. Un hollandais parle tout à coup du premier ministre comme d’un « fasciste ». Le premier ministre, de son côté, pousse ses pions.
Depuis des mois, son ami de jeunesse, le vice-président d’Havas, Stéphane Fouks, s’en va expliquer partout dans Paris que « Manuel Valls est le meilleur candidat » pour 2017.
Manuel Valls de son côté multiplie les déplacements loin de Paris et du chef de l’état. Dans l’avion qui l’emmène à Bordeaux, le 27 octobre 2016, il confie devant des journalistes, dont celui du Monde, sa colère à la lecture du livre et la honte que ressentent selon lui les militants socialistes. Les propos enflamment le week-end de la Toussaint. A Berlin, le 17 novembre 2016, il dresse ensuite le « portrait idéal » du candidat pour 2017. C’est davantage son autoportrait que celui de François Hollande.
Pour Manuel Valls, en acceptant l’élection primaire, François Hollande a commis un acte de faiblesse.
« Vous imaginez, au mois de janvier 2017, François Hollande face à Marie Noëlle Lienemann et François de Rugy, cela va avoir de la gueule. Arnaud Montebourg viendra avec le livre sous le coude et dira à François Hollande, page tant, vous dites, page tant, vous dites encore. C’est surréaliste », lâche-t-il le 27 octobre 2016.
Depuis qu’il a été nommé à Matignon, au mois d’avril 2014, Manuel Valls a pris l’habitude de recevoir chaque semaine des parlementaires socialistes. En cette fin d’automne 2016, ses visiteurs épousent l’éventail de toutes les sensibilités du Parti Socialiste et lui confient leur ras-le-bol.
« Si François Hollande est candidat, qu’il ne compte pas sur moi pour aller coller les affiches ou pour parler dans les trains », répète-t-il aux élus comme aux journalistes, un clin d’œil à la campagne de 2012, lorsqu’il dirigeait la communication du candidat François Hollande.
Rarement on a connu président si isolé. François Hollande semble même incapable de renouer avec sa majorité. Il a renoncé à recevoir les députés les plus râleurs et, lorsqu’il s’invite à un apéritif avec quatre vingt députés, organisé par son fidèle Stéphane Le Foll au ministère de l’agriculture, ses propos restent plats.
Les parlementaires réclament pourtant une autocritique ou un aveu de lucidité, « François Hollande refuse de voir les problèmes, il fait comme si tout allait bien. Il se fout vraiment de notre gueule ». La garde rapprochée du président serre les rangs. Ne demeurent que quelques dizaines de fidèles, Stéphane Le Foll, François Rebsamen, Julien Dray, la sénatrice Frédérique Espagnac, une poignée de députés dont Kader Arif et Sébastien Denaja et, à l’Elysée, Jean-Pierre Jouyet, Gaspard Gantzer, Bernard Poignant, Vincent Feltesse et Bernard Combes.
Dans les pires moments, François Hollande pratique toujours la politique qu’il connaît, celle des alliances et des majorités bâties à coups de compromis. L’insolente popularité d’Emmanuel Macron a longtemps été mesurée à cette aune, qu’est-ce qu’un candidat sans parti ni alliés ? Mais le Parti Socialiste se racornit et les alliés font tout autant défaut au président.
A l’issue d’une élection primaire, les Verts ont choisi un candidat, Yannick Jadot, qui partira sous ses propres couleurs. Le Parti des Radicaux de Gauche (PRG) envoie à la bataille Sylvia Pinel, pourtant ministre du gouvernement pendant quatre ans. Même le Parti Communiste Français (PCF) s’est finalement décidé à soutenir Jean-Luc Mélenchon. Comment, avec un tel éparpillement des voix de gauche, ce président plombé par une impopularité record aurait-il la moindre chance de parvenir au second tour ?