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Des mots de Christine Renon aux maux du département de la Seine Saint Denis, un an après
Samedi 21 Septembre 2019, Christine Renon, directrice de l’école Méhul de Pantin, se suicidait sur son lieu de travail. Elle laissait derrière elle une lettre exposant son épuisement et dénonçant les dysfonctionnements de l’institution, le manque de soutien et de moyen et les tâches administratives sans fins et absurdes. Un an après, le collectif qui porte son nom organisait une marche d’hommage.
Nous nous retrouvons au métro Quatre chemins à Pantin. Paris est à quelques mètres, mais c’est une autre ambiance, la Seine Saint-Denis, et d’autres soucis. Nous y reviendrons. Il y a des enseignants du département de la Seine Saint Denis et des parents de Pantin. Nous étions un certain nombre de collègues du dix-neuvième arrondissement de Paris à avoir traversé le périphérique.
Le cortège s’élance en direction de l’école Méhul. Nous traversons ce paysage pantinois si particulier entre les voies ferrées, le canal de l’Ourcq et une route nationale, paysage de quartier populaire en pleine rénovation et de gentrification agressive sur fond de grande pauvreté.
La marche est d’abord un hommage, l’anniversaire triste de ce drame affreux, une lutte contre un oubli qui arrangerait trop les responsables. « Cette marche sert aussi à cela, à obliger l’éducation nationale à se regarder en face », explique le collectif pour Christine Renon sur le parvis de l’école maternelle, « l'annonce de son suicide, il y a un an, a été une déflagration. Tout le poids des carences, des réformes qui s’accumulent et des pressions de la hiérarchie ainsi révélé. Si l’école tient bon, c’est que des enseignants prennent des coups ». Il faut se souvenir de la lettre laissée par Christine Renon, et dont les premiers mots sont relus, « Samedi 21 Septembre 2019, je me suis réveillée épouvantablement fatiguée et épuisée, après seulement trois semaines de rentrée. Les soucis depuis bien avant la rentrée se sont accumulés, c’est le sort de bien des directeurs malheureusement ».
« Ne rien oublier », répète Gabriel, enseignant et membre du collectif Tous Unis contre les Violences aux Lilas, « s’il ne faut pas oublier, je n’oublie surtout pas les réactions des pouvoirs publics. Je ne vais pas oublier les mots de Jean-Michel Blanquer, vous les journalistes, quand vous mettez de l’huile sur le feu, quand vous donnez le sentiment sans arrêt que tout est en crise et que rien ne va plus, à la fin, vous créez de la nervosité qui a des conséquences ». Il n’y aurait aucun problème réel sur le terrain, juste des constructions journalistiques.
« Au niveau des écoles, nous n’avons vu aucune différence depuis l’année dernière », expliquent Marine et Annick, enseignantes en maternelle à Pantin. Quand je leur demande quelles sont leurs revendications, elles hésitent, « peut-être davantage écouter les personnes qui sont sur le terrain. On ne nous écoute jamais pour rien, ni pour la construction d’une nouvelle école, ni pour les travaux. On ne nous demande rien, que de la paperasserie et des projets d’école. On ne nous demande même pas simplement comment nous allons ». « Travaille, fonctionne et ferme ta gueule », crient des manifestants derrière nous pendant la marche. L’ironie tragique du slogan sonne assez juste.
Dans le cortège, un parent d’élève de l’école Méhul me déclare tout en marchant qu’il vient pour réclamer une égalité de l’école sur tout le territoire. Je lui demande de développer. « Il semble assez évident que les moyens alloués aux écoles sont inégalitaires, nous cumulons les difficultés », explique-t-il, « par exemple, il y a, dans les collèges comme les écoles, toujours des problèmes de remplacement. Nous sommes dans des zones sinistrées en termes de moyens humains et matériels et nous cumulons des difficultés scolaires évidentes. Nous devrions être autant voire plus dotés qu’ailleurs ».
J’étais venu à la marche pour dénoncer les méthodes de management qui génèrent inefficacité et souffrance au travail et pour crier ma rage contre les chefs qui nous méprisent. J’imaginais que nous parlerions du travail des directrices d’école et du projet de loi concernant leur statut. Cependant, je découvre, en franchissant le périphérique, une colère plus profonde face à des situations bien plus désespérées et graves que dans le dix-neuvième arrondissement de Paris, certes frondeur et populaire, mais finalement assez choyé en termes de moyens. Si les mots de Christine Renon reste dans les têtes, ils font échos aux maux de tout un département.
La marche débute aux Quatre Chemins, entre Aubervilliers, où deux élèves du lycée professionnel d’Alembert sont morts lors de rixes à l’automne 2019, et Pantin, où deux enfants en 2018 et 2019 ont aussi trouvé la mort dans des règlements de compte. La marche traverse ces frontières invisibles entre quartiers, que dénoncent les Mères Combattantes, une association de la Place des Fêtes dans le dix-neuvième arrondissement de Paris, qui luttent contre les violences entre adolescents et qui sont venues à la manifestation pour demander des moyens et soutenir les enseignants. Le collectif pour Christine Renon a tissé des liens entre les enseignants et les parents de ces territoires meurtris.
Je demande à une des Conseillers Principaux d’Education (CPE) du lycée professionnel d’Aubervilliers si elle voit un lien entre la violence des quartiers et la violence qu’a subie Christine Renon et elle répond que « la violence est institutionnelle. Christine Renon est morte parce qu’elle donnait tout pour son boulot et qu’elle n’en pouvait plus. L’institution n’a donné aucune réponse à ses appels à l’aide. Pour les élèves, c’est pareil. Nous n’avons aucun moyen pour des projets pour changer les choses. Oui, il y a un lien entre ces violences ».
« Pour nous, il y a des points communs entre ces différentes formes de violence, le déni des pouvoirs publics », déclare quant à lui le collectif pour Christine Renon. « Nous avons besoin de personnes qui assument leur responsabilité », dit Gabriel. « En réalité, nous avons obtenu un terrible silence », quelques minutes plus tard, une professeure du lycée professionnel d’Aubervilliers explique que le Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT) et l’audit sur les violences du rectorat ont fait pschitt, « ni résultat, ni simple compte-rendu de l’audit et, en cette rentrée particulière, le résultat, c’est une nouvelle proviseur, la cinquième en six ans, pas d’infirmière scolaire, des postes encore non pourvus, du matériel informatique inutilisable, l’équivalent pour l’enseignement tertiaire d’un lycée hôtelier sans cuisine, des locaux inadaptés voire dangereux, des projets annulés faute de moyens et une réforme du lycée professionnel qui réduit encore le temps de cours pour les élèves et qui creuse encore les écarts avec les lycées généraux. Mais cela est partagé avec de nombreux établissements de Seine Saint-Denis et des quartiers populaires Le constat est sans appel et partagé par tous. Un jeune de Seine Saint-Denis n’a pas le droit aux même conditions de vie et d’éducation qu’un jeune parisien ou d’autres territoires de cette fameuse république ».
Forcément, et comme dans toutes les mobilisations autour de l’école, nous revendiquons d’abord des moyens, des postes, des locaux viables et du matériel. Au-delà de cela, nous demandons à la hiérarchie de l’écoute, du soutien et surtout des actes, que l’état assume ses responsabilités envers la jeunesse de la Seine Saint-Denis. Cependant, les drames traversés par les collègues du territoire les ont poussés à formaliser des revendications pédagogiques et sociales qui dépassent le seul constat des manquements.
Depuis le parvis de l’école Méhul, Gabriel explique que, d’habitude, les établissements sont reçus par le rectorat, établissement par établissement, et que cela a pour effet de se laisser déposséder de nos capacités de réflexions sur la politique éducative. L’équipe du collège pantinois revendique ainsi « l’invention d’un psycho-social pour répondre aux défis nouveaux d’une jeunesse qui se fait mal et parfois fait mal à d’autres ». La collègue d’Aubervilliers fait remarquer à l’assistance que les violences liées aux bandes de jeunes hommes ne sont pas sans lien avec le fonctionnement de l’école. En effet, les bandes sont composés pour l’essentiel des laissés pour compte de l’école et du salariat, elle cite le sociologue Marwan Mohammed, qui y trouvent une forme de valorisation en dehors des institutions, « nous refusons de participer davantage à la production de ces laissés pour compte. Il existe des solutions pour une école moins sélective, plus juste et plus émancipatrice. Pour que notre réussite ne dépende plus du hasard, de l’orientation, de la classe, du genre ou de la race. Nous ferons front, soyez en sûr ».