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Pourquoi la place de Rachad doit être protégée dans le hirak
Mardi 23 Mars 2021
Deux faits ont marqué un tournant dans le week-end du Samedi 20 Mars et du Dimanche 21 Mars 2021 au sujet du cas de Rachad dans le hirak. Le parquet de Bir Mourad Rais est venu le consolider.
L’apparition d’une première affichette ouvertement hostile à Rachad Vendredi 19 Mars 2021 dans les rues du centre d’Alger, puis la présence remarquable, Samedi 20 Mars 2021, d’un cadre de Rachad au sous-marin, siège mythique des communistes du Mouvement Démocratique et Social (MDS), pour leur journée porte ouverte, sont loin d’être deux faits anodins. La campagne de diabolisation contre Rachad a fait des dégâts dans l’unité politique du hirak pour le changement démocratique.
Le mouvement islamo-conservateur a enfin décidé de réagir pour tenter de donner de lui même un visage plus rassurant. Des pans du mouvement populaire commencent à être significativement influencés par la propagande qui veut assimiler le hirak à Rachad, accessoirement au Mouvement pour l'Autodétermination de la Kabylie (MAK). De ce point de vue, la présence de Mustapha Kira aux portes ouvertes du MDS et ses entretiens avec la presse et les présents sont d'audacieuses opérations de relations publiques. Elles ne suffiront pas pour renverser le mouvement de polarisation engagé depuis le mois de juin 2020, Place de la République à Paris. Elles apportent, cependant, une nouvelle donne fertile dans l’approche de la solution politique.
La police politique algérienne est mentalement rivée aux années 1990. Elle considère que toute concession sur les libertés serait un précédent fatal, Chadli Bendjedid et Mouloud Hamrouche étaient des aventuriers à l’aune de cette lecture, et que toute fédération des courants du hirak autour d’une même feuille de route politique serait un grave danger pour l’agenda de la restauration par le vote confiné.
Les deux soufflets constants depuis le 22 février 2019 pour attiser le contre feu restaurateur sont donc le déni des libertés et la diabolisation d’un des courants présent dans le hirak afin d’empêcher coûte que coûte une unité politique du mouvement sur l’agenda du changement, préalable aux processus électoraux. Au traumatisme du vote du 26 décembre 1991, s’est ajouté, dans la mémoire des officines, celui du contrat de Rome au mois de janvier 1995, celui d’une offre politique de toute l’opposition, islamistes radicaux compris, pour mettre fin à l’insurrection djihadiste et au contre terrorisme d'état. Alors que la machine liberticide tourne à plein régime, la priorité se précise d’empêcher un consensus du hirak sur la conduite de la transition qui engagera le changement, pas d’ouverture donc et pas de front politique des opposants et du hirak.
Dans un tel contexte, le Mandat d'Arrêt International (MAI) émis Lundi 22 Mars 2021 par le parquet du tribunal de Bir Mourad Rais contre quatre Youtubers dissidents dont un, Larbi Zitout, est membre de Rachad, apparaît grossièrement comme le recours ultime pour tenter de dynamiter la cohabitation de tous les acteurs du hirak dans un mouvement pacifique. La cible en est de rendre impossible le front politique inclusif en prolongement du hirak et de ses revendications de rupture.
Le procédé, grossier, ajoutant au passage dans le complot un franc tireur comme Hicham Abboud aux antipodes de la mouvance islamiste, trahit un empressement à tordre le cou à l’unité du hirak, mis en difficulté ces dernières semaines. Rachad est présenté par les services du Détachement Spécial d'Intervention (DSI) et par leurs relais, organiques ou occasionnels, mais aussi intuitivement par une partie du hirak, comme un facteur bloquant dans la résolution des revendications populaires et l’engagement d’une transition démocratique négociée avec le pouvoir militaire. Un repoussoir, au même titre que les anciens du Front Islamique du Salut (FIS), avec lesquels existerait le risque de livrer la république aux salafistes dans des termes finalement à peine différents de ceux de la période de 1989 à 1992.
Le bilan de cette option propagandiste forte a mis très longtemps à prendre forme. Ses premiers résultats s’affichent maintenant et cette option peut se prévaloir d’avoir semer un début de zizanie dans le hirak, dans laquelle même des hommes politiques d’expérience se laissent prendre. La crispation des derniers jours pourrait bien inspirer une sortie par le haut, si le mouvement populaire et ses élites organisées renversaient l’équation sécuritaire par une autre politique, si Rachad était une partie de la solution pour le hirak et s'il n'était pas une partie du problème.
Que les choses soient claires. Ce qui pose problème au régime algérien ce n’est pas le salafisme politique, mais sa position vis à vis du changement démocratique. Madani Mezrag, ancien émir de l’Armée Islamique du Salut (AIS), est une Very Important Person (VIP) à la présidence et les anciens du FIS comme Ali Djeddi et Abdelkader Boukhamkham, qui ont soutenu le processus électoral du 12 décembre 2019, ont porte ouverte chez les officiels.
Rachad est de ce point de vue doublement déstabilisant pour le logiciel sécuritaire qui domine la pensée politique à Alger. Il n’est pas salafiste, donc il fait moins peur aux algériens affranchis de cette illumination millénariste, et il est favorable au changement démocratique avec tous ses codes. La filiation politique de Rachad n’est pas linéaire. Il n’est pas l’épigone maquillé du FIS.
Certes une influence islamiste d’anciens du FIS est bien présente, mais il s’agit plus de celle du courant d'al Jazara, à l’itinéraire doctrinaire différent de celui de la salafia djihadiste qui a squatté à son apogée le parti d'Abassi Madani et d'Ali Belhadj. Il y cohabite avec la culture de la dissidence des officiels algériens, Larbi Zitout en étant la principale incarnation.
Il existe également au sein du mouvement Rachad des transfuges d’autres partis de l’opposition non islamiste. Le mouvement cristallise en fait la radicalité non pas d’une quelconque pensée salafiste, mais celle d’une partie de la diaspora partie d’Algérie durant ou à la fin des années 1990 et qui impute, à juste titre, à l’armée, la perpétuation du régime autocratique responsable de son exil. Rachad a régulièrement cherché à se préserver de l’affiliation au FIS vers laquelle ses adversaires idéologiques tente de le ramener. Son dirigeant emblématique Mourad Dhina offre une prise à cette assimilation. Cet ingénieur vivant en Suisse incarne à lui seul toute la complexité de son mouvement.
Il porte comme une croix une citation où il dénie à une majorité d’algériens le droit de considérer comme des martyrs de l’Algérie les victimes des attentats terroristes ciblés contre les intellectuels, « ce sont leurs martyrs à eux ». Proche d'Hocine Ait Ahmed de son vivant, il est pourtant l’une des figures du discours pour la démocratie, les plus ouvertes aux alliances politiques.
De manière générale la culture de l'état de droit et des libertés publiques n’est pas un artifice chez Rachad. La génération de militants de la diaspora qui l’a fondé au milieu des années 2000, pour sa plus grande partie, a vécu de longues années en contexte d'état démocratique. Elle est sensible à la protection de l'état de droit et elle reprend sans complexe les éléments de langage des révolutions démocratiques de l’Europe de l’Est. Cela fait de Rachad un mouvement hétéroclite complexe, à mis chemin entre une esquisse de parti conservateur populiste à rhétorique démocratique et un embryon de parti islamiste réformateur à la manière d'al Nahda en Tunisie.
La crise de l’islamisme politique s’est répandue dans l’espace public depuis le 22 février 2019. Au mois d'octobre 1988, il occupait quasiment seul la rue dès le Vendredi 7 Octobre 1988. Le hirak et sa tolérance à l’égard de sa propre diversité montre le chemin parcouru par la société algérienne. Les autres courants constitués en partis politiques se portent à peine mieux certes, mais ils peuvent se considérer comme représentés de fait notamment à travers le Pacte de l'Alternative Démocratique (PAD).
Les partis islamistes algériens n’existent pas formellement dans la proximité du hirak. Ils se sont soit estompés sous une disgrâce morale à cause de leur lien avec le djihadisme des années 1990, comme le FIS, soit participé au bouteflikisme, avant de devenir des opposants ambiguës et un passager clandestin au début du hirak, comme le Mouvement de la Société pour la Paix (MSP) et Islah. Cette carence, c’est Rachad qui aurait dû la combler depuis deux ans.
La police politique s’est énergiquement attelée à ce que cela ne puisse pas se faire. La question de la participation de Rachad aux différentes initiatives entamées depuis deux ans pour traduire politiquement les revendications du mouvement populaire a régulièrement buté sur deux obstacles. Le premier obstacle provient de la faiblesse de l’encadrement politique de Rachad en Algérie et son statut semi-clandestin qui lui est rattaché. Le deuxième obstacle est dû à son image diabolisée et à son incapacité à la blanchir particulièrement en exprimant un minimum d’empathie avec les victimes du terrorisme et en reconnaissant les dérives sanglantes du djihadisme.
Résultat, Rachad est resté en marge des tentatives de construire une feuille de route politique consensuelle en Algérie. Kamel Guemmazi de l'ancien FIS a été invité à la réunion consultative de la Safex le 24 aout 2019, mais personne de Rachad. De même parmi les nombreuses figures du hirak qui ont endossé le manifeste de Nida Vingt Deux, au mois d'octobre 2020, il n’y avait pas de responsable connu de Rachad, même si des signataires parmi les hirakistes dans les wilayas, quelques uns étaient réputés proche de Rachad.
Cette exclusion de fait de Rachad du champ de l’action politique publique est devenue problématique pour la construction d’une solution reflétant les volontés politiques du mouvement populaire. Non pas parce que le mouvement de Rachad est totalement incontournable, beaucoup s’en faut, mais parce que le courant de la société auquel il se rattache n’est pas vraiment représenté par les autres cadres islamistes ou conservateurs organisés.
Entre exagération de son influence par les services de sécurité et défaillance du courant islamiste dans la proximité du hirak, Rachad est devenu un acteur important par défaut, en dépit de sa taille militante modeste. Son intégration dans la production d’une offre politique hirakiste reste cependant délicate.
L’accusation voulue infamante de lien avec le terrorisme que le logiciel sécuritaire veut coller à Rachad vise l’unité des marches populaires et son extension dans le champ des alliances politiques. Rached est le premier à devoir mettre cette unité du hirak en tête de sa réflexion stratégique. Il est loin de l’avoir toujours fait depuis un an. Il a tenté de prendre un leadership hors de sa portée en laissant un de ses dirigeants, Larbi Zitout, appelé seul depuis Londres à la reprise des marches à deux reprises pendant l’été 2020.
Il s’est attaqué violemment à des hirakistes portant des points de vue opérationnels divergents du sien. Il s’est montré bienveillant avec une campagne de dénigrement contre l’activiste Samir Belarbi et il a exercé une pression constante contre l’aile conservatrice de Nida Vingt Deux afin de faire avorter un processus de débat ouvert à tous les courants.
Ces dérives, parfois d’essence hégémoniste, ne sont pas nécessairement une ligne politique assumée par sa direction et ils ne sont pas forcément un choix délibéré. La manière de faire de la politique avec des Youtubers, souvent détachés, dans l’exil, de la réalité de la situation dans le pays, peut conduire à des fausses pistes. Il reste que Rachad n’a pas été en mesure de faire émerger une direction politique en Algérie qui sache traduire sa volonté déclarée de rester respectueux des différences et unitaire dans l’action avec tous les autres courants du hirak.
Ce n’est sans doute pas trop tard. La visite de Mustapha Kira aux portes ouvertes du MDS vient conforter l’idée que l’unité du hirak est peut être redevenue la priorité chez ce courant. Il resterait alors aux autres sensibilités politiques citoyennes se trouvant dans les marches populaires d’intégrer également cette conscience vitale du besoin d’unité. Qui profite de la diabolisation de Rachad ? Ce sera le challenge politique du hirak pendant les prochaines semaines.
Le doute s’est insinué et les démons des années 1990 sont en train de se réveiller. La tentative de criminaliser le mouvement Rachad veut, coûte que coûte, faire ressembler le hirak de 2021 à la grève insurrectionnelle du FIS du mois de mai et du mois de juin 1991. Elle vise à apeurer les classes moyennes supérieures moins impliquées dans les marches depuis la reprise du 22 février 2021 et elle vise à isoler les franges populaires afin probablement de mieux les réprimer.
Et même si la force encore très vive de la mobilisation rend difficile pour le pouvoir ce scénario de la division et de la répression, la charge des officines contre Rachad peut couper la route à toute offre politique inclusive qui verrait, comme à l’hôtel Mazafran en 2014, l’ensemble des acteurs du hirak et de l’opposition politique sans exclusion montrer d’un seul geste la voie du changement des règles institutionnelles.
Protéger la place de Rachad dans le hirak devient de ce point de vue essentiel, y compris et tout autant pour ses adversaires politiques de demain, lorsque viendra enfin le temps de la compétition libre et régulière des programmes politiques.