MINUIT MOINS CINQ
Mercredi 24 Janvier 2018
Le site internet de France Info publiait récemment un long message relatif à la préparation du prochain congrès du Parti Socialiste. Vous trouverez ci-dessous la deuxième partie de ce message. Le message est disponible en totalité si vous consultez le site internet de France Info à l’adresse ci-dessous.
Bernard Fischer
https://www.francetvinfo.fr/politique/ps/najat-vallaud-belkacem/il-est-minuit-moins-cinq-avant-notre-disparition-comment-le-ps-s-empoigne-sur-un-champ-de-ruines_2568139.html
« Il est minuit moins cinq avant notre disparition »
« Peut-être que cela va mourir, peut-être que cela va renaître. Peut-être que le Parti Socialiste est déjà mort et que nous ne nous en sommes pas encore rendu compte », l’ambiance est morose au Parti Socialiste à la veille de se choisir un nouveau chef. Longtemps considérée comme favorite, Najat Vallaud-Belkacem a jeté l'éponge au début du mois de janvier 2018. Cela a été une occasion ratée pour le Parti Socialiste, empêtré dans une querelle d'egos dont il a le secret.
Depuis le début de l'année 2018, les prétendants au poste de premier secrétaire se bousculent. Et en coulisses, les tractations s'accélèrent à l'approche de la date limite de dépôt des candidatures, fixée au Samedi 27 Janvier 2018.
France Info s'est plongé au cœur d'un réacteur socialiste au plus mal, miné par ses défaites électorales et ses luttes de clans. Un Parti Socialiste au pied du mur qui tente de se reconstruire, mais dont l'existence même semble aujourd'hui menacée.
Depuis l'été, ils agissent dans l'ombre. Inconnus du grand public, ces trois messieurs bons offices, comme ils se surnomment, s'activent dans les couloirs de Solférino. Laurent Azoulai, président de la commission nationale des conflits, Alain Bergounioux, historien maison du Parti Socialiste, et Philippe Doucet, l'une des figures de l'aile droite du Parti Socialiste, œuvrent pour que la majorité issue du dernier congrès, en 2015, accouche d'un candidat unique au poste de premier secrétaire.
Coups de fil, cafés, déjeuners et dîners, durant des mois, le trio consulte tous azimuts et il propose aux ténors du courant majoritaire de se réunir le 12 décembre 2017 au Concorde, un café situé à deux pas du Palais-Bourbon. Le 12 décembre 2017, une vingtaine de personnes sont présentes, Rachid Temal, qui coordonne le parti depuis la démission de Jean-Christophe Cambadélis, des hollandais historiques comme Stéphane Le Foll ou François Rebsamen et des visages de la jeune garde comme le tout nouveau patron des députés du Parti Socialiste, Olivier Faure. Najat Vallaud-Belkacem est absente, mais elle est représentée par une de ses proches.
Pétris de beaux sentiments, tous s'engagent tacitement à rester unis. Le moment venu, un seul nom devra sortir du chapeau. A la fin de la réunion, on ouvre les agendas. Rendez-vous est pris à la rentrée, le Mardi 9 Janvier 2018, pour poursuivre les discussions. Mais le Mercredi 3 Janvier 2018, le renoncement de Najat Vallaud-Belkacem dans l’Observateur fait voler ce plan en éclats. Deux noms, ceux d'Olivier Faure et de Stéphane Le Foll, sont sur toutes les lèvres. Le premier a le soutien inconditionnel des quadragénaires.
Consensuel et rassembleur, Olivier Faure, quarante neuf ans, dirige sans faire de vagues le groupe, pourtant très hétéroclite, des trente et un députés socialistes rescapés du naufrage électoral.
Stéphane Le Foll, lui, possède l'atout de la notoriété. Habitué des plateaux de télévision, ce grand échalas de cinquante sept ans n'a pas l'habitude de reculer devant l'adversité, comme au mois de février 2016, lorsque le ministre n'avait pas hésité à débattre, en bras de chemise, face à des agriculteurs en colère venus le défier dans le jardin de sa maison du Mans. « Il faudra quelqu'un qui ait de l'autorité. Lui, il est capable de cogner Laurent Wauquiez ou Christophe Castaner », plaide l'un de ses soutiens.
Sur le fond, il est difficile de voir ce qui sépare les deux prétendants. « Entre eux, il n'y a qu'une feuille de papier à cigarette », reconnaît-on de part et d'autre. Pourtant, chacun se prépare à se lancer. Les deux hommes, qui se connaissent par cœur, ils ont travaillé ensemble pendant huit ans au cabinet de François Hollande à Solférino, se téléphonent, Vendredi 5 Janvier 2018. « Personne ne veut de toi », lance Olivier Faure à Stéphane Le Foll, selon le Figaro. « C’est ce que nous verrons », répond l'ancien ministre.
Dans les deux camps, on confirme l'existence du coup de fil, mais on ne confirme pas l'exactitude des propos rapportés. Toujours est-il que ce duel a un fort accent générationnel. Quand Olivier Faure peut se targuer d'incarner une forme de renouvellement, Stéphane Le Foll est immédiatement renvoyé à son passé de porte-parole du gouvernement.
« Il défend le bilan du quinquennat de François Hollande sans discernement et sans nuance », tacle un ancien député. Ses détracteurs instruisent aussi son procès en macronisme supposé, relevant que, s'il a réussi à se faire réélire au mois de juin 2017, il le doit en partie à la République En Marche (REM), qui ne lui avait opposé aucun candidat.
La date du Mardi 9 Janvier 2018 approche à grands pas. La réunion de la majorité programmée Mardi 9 Janvier 2018 est plus que jamais d'actualité. Depuis quelques jours, chacun sait qu'Olivier Faure s'apprête à saisir cette occasion pour officialiser sa candidature. Plutôt que d'attendre, Stéphane Le Foll sort du bois plus tôt que prévu. « J'ai décidé de relever le défi », annonce-t-il dans une interview au Maine Libre publiée Lundi 8 Janvier 2018. Mardi 9 Janvier 2018, il assure le service après-vente sur BFM Télévision, chez Jean-Jacques Bourdin.
Mardi 9 Janvier 2018, en fin d'après-midi, avant la grande explication qui doit se tenir le soir, les quadragénaires se retrouvent dans un bar pour préparer l'annonce d'Olivier Faure. Signe de l'importance du moment, Najat Vallaud-Belkacem est parmi eux, comme le révèle Libération. Stéphane Le Foll et les siens, eux, se retrouvent dans un bâtiment qui jouxte le siège du Parti Socialiste.
Une heure plus tard, tout le monde se retrouve à Solférino. Sauf Stéphane Le Foll, aperçu devant la grille, qui laisse François Rebsamen et Patrick Kanner prendre sa défense face à une salle peu acquise à sa cause. A l'intérieur, certains ne sont pas tendres avec le député de la Sarthe, « c'est normal », commente un participant sous couvert d'anonymat, « il annonce sa candidature dans la presse le matin et il ne vient même pas en parler à ses camarades le soir ».
Quand on égrène devant lui la liste des candidats, un ancien ministre du quinquennat de François Hollande lève les yeux au ciel. « C’est sûr que nous n’avons pas en stock un François Mitterrand, un Lionel Jospin ou un Pierre Mauroy ». En l'absence de Najat Vallaud-Belkacem ou de Bernard Cazeneuve, qui a adressé une fin de non-recevoir polie aux sollicitations dont il faisait l'objet, tout le monde ou presque reconnaît qu'aucun leader ne s'impose. Pendant que Stéphane Le Foll et Olivier Faure se disputent en coulisses, d'autres candidats fourbissent d'ailleurs leurs armes.
Premier déclaré, dès le mois de novembre 2017, Luc Carvounas souhaite incarner un Parti Socialiste ancré à gauche et ouvert aux alliances avec les écologistes et les communistes. Une stratégie qui laisse dubitatifs nombre de ses camarades, qui ne se privent pas de rappeler que cet ancien proche de Manuel Valls avait cosigné une tribune favorable à la déchéance de nationalité pour les terroristes binationaux. De quoi lui valoir le surnom de F 35, « car c'est le seul avion de chasse à être capable de virer aussi rapidement ».
Autre prétendant à la tête du parti, le député européen Emmanuel Maurel officialise sa candidature dans le Point du Vendredi 5 Janvier 2018. Pourfendeur du hollandisme et soutien d'Arnaud Montebourg lors des élections primaires pour le premier tour des élections présidentielles de 2017, il incarne l'aile gauche du parti, traditionnellement présente lors des votes internes. Candidat malheureux face à Harlem Désir en 2012, il compte bien, cette fois, faire plus que de la figuration.
La candidature de Delphine Batho surprend au contraire tout le monde. En annonçant ses intentions dans le Parisien, Lundi 15 Janvier 2018, l'ancienne ministre de l’écologie en profite pour dézinguer l'ensemble de ses camarades.
Critiquant les modalités de l'élection, qui impose aux candidats d'être soutenus par seize membres du conseil national du Parti Socialiste, elle dénonce un « verrouillage mis en place par une petite mafia politique avec ses parrains, ses lieutenants et ses exécutants ». La députée du département des Deux-Sèvres a aussi assigné en référé, quatre jours plus tard, le Parti Socialiste auprès du Tribunal de Grande Instance (TGI), estimant être empêchée de briguer la tête du Parti Socialiste.
Et ce n'est peut-être pas fini. Julien Dray ménage le suspense sur sa propre candidature. Rachid Temal, le coordinateur du Parti Socialiste, laisse aussi planer le doute. « A ce rythme-là, nous allons finir avec dix candidats », soupire un responsable du Parti Socialiste.
En coulisses, d'autres manœuvres se trament. Le patron de la fédération de la Haute-Garonne du Parti Socialiste, Sébastien Vincini, allié à une trentaine de cadres, dont l'influente députée Valérie Rabault, menace de présenter sa propre motion. Auto proclamé porte-voix des territoires, le groupe veut en finir avec le verrouillage qu'imposerait Rachid Temal à la tête du Parti Socialiste et il oblige Olivier Faure à lui donner des gages.
Vendredi 19 Janvier 2018, le ralliement est mis en scène. Le député de Seine-et-Marne est accueilli dans les locaux toulousains du Parti Socialiste. Cela sent bon pour Olivier Faure. La veille, il avait déjà reçu un soutien de poids, celui de Martine Aubry.
Mais dans ce paysage d’après la débâcle de 2017, il est difficile de s'y retrouver. Aubrystes, royalistes, hollandais et montebourgeois, les chapelles qui structuraient le Parti Socialiste ont volé en éclats.
Il est impossible aussi de deviner comment l'exode des militants partis garnir les rangs du nouveau parti de Benoît Hamon ou de la REM influencera les rapports de force internes.
Un responsable local préfère rester prudent, « à la belle époque, quand Jean-Noël Guérini disait qu’il soutenait Ségolène Royal, vous pouviez être sûr que cinq mille militants du département des Bouches-du-Rhône suivraient. Aujourd'hui, quand Patrick Kanner dans le département du Nord appelle à soutenir Stéphane Le Foll, derrière, vous pouvez peut-être compter sur deux cent voix supplémentaires ».
Et si cette multiplication de candidatures cachait un immense vide et les derniers soubresauts d'un grand malade prêt à succomber. Cette guerre d'egos sur un champ de ruines suscite en tout cas l'inquiétude au sein du Parti Socialiste. « Ce n'est ni sérieux, ni à la hauteur des enjeux », commente un membre de la direction collégiale du Parti Socialiste. D'autres tirent carrément la sonnette d'alarme.
« Il est minuit moins cinq avant notre disparition. Nous avons cinq minutes pour agir », dit Sébastien Vincini, premier secrétaire de la fédération départementale de la Haute-Garonne.
S'il n'a pas encore disparu, le Parti Socialiste végète après ses défaites successives aux élections municipales de 2014, aux élections départementales de 2015, aux élections régionales de 2015 et surtout après la débâcle des élections présidentielles et des élections législatives de 2017. Nombre de députés divisé par dix, finances au plus bas, plan social visant à licencier cinquante cinq permanents sur quatre vingt dix sept permanents, tous les voyants sont au rouge. La ligne politique du parti reste, elle, inaudible, coincée entre le ni droite ni gauche d’Emmanuel Macron et l'insoumission de Jean Luc Mélenchon.
« Nous ne sommes même plus au fond de la piscine, nous sommes carrément dans le siphon », reconnaît un ancien ministre de François Hollande.
La perspective d'une disparition du Parti Socialiste est désormais prise au sérieux. « Au mieux ce sera un congrès de survie, au pire ce sera le prélude à une disparition », observe l'ancien député Christian Paul, ancien leader des frondeurs, qui regarde désormais d'un peu plus loin ses camarades s'écharper.
« Et l'agonie peut être longue. Regardez le Parti Communiste Français (PCF) ou le Mouvement des Radicaux de Gauche (MRG) », dit un cadre du Parti Socialiste.
Que reste-t-il à espérer dans un tel marasme ? Un peu perdu, un ancien député confie avoir demandé ces derniers jours à Najat Vallaud-Belkacem si elle ne voulait pas changer d'avis et si elle ne voulait pas revenir mettre tout le monde d'accord. L'intéressée a fait savoir que sa décision était irrévocable. Les candidats au poste de premier secrétaire, eux, doivent encore y croire. Ou au moins faire comme si, confie l'un d'eux à un membre du bureau national du Parti Socialiste.
Dépité mais pas totalement résigné, l'ancien député de l'Hérault Sébastien Denaja voit dans cette période quelque chose de romantique, « nous essayons de tenir levé le flambeau de Jean Jaurès et de Léon Blum et d'une pensée qui s'est forgée depuis plus d'un siècle et qui a apporté des choses à la France », explique-t-il, « cela peut faire rigoler, mais c'est comme cela que nous le vivons. C'est une séquence où il ne reste que ceux qui sont capables de traverser le désert et de manger du sable », philosophe-t-il, « nous pensons qu'il y a un peu de noblesse à ne pas abandonner ».