Une journaliste placée en garde à vue durant deux jours pour avoir fait son métier, c'est inédit, l’affaire d’Ariane Lavrilleux inquiète la profession
La journaliste Ariane Lavrilleux est sortie libre de sa longue garde à vue, Mercredi 27 Septembre 2023. Alors que plusieurs rassemblements de soutien ont eu lieu en France, le gouvernement est resté mutique. La profession s'indigne d'une atteinte inédite à la liberté de la presse et au secret des sources en France.
« Après trente-neuf heures de garde à vue, notre journaliste Ariane Lavrilleux a retrouvé la liberté. L’état français traque nos sources », peut-on lire à la une du site d’investigation Disclose, Jeudi 21 Septembre 2023.
La journaliste Ariane Lavrilleux, qui a participé à une enquête en 2021 autour d'une opération de renseignement française en Égypte, a été visée par une perquisition et placée en garde à vue, Mardi 19 Septembre 2023. Des rassemblements de soutien à l'appel du collectif Prenons la Une, du collectif Presse-Papiers et de Reporters Sans Frontières (RSF) ont été organisés partout en France pour dénoncer une atteinte à la liberté de la presse et au secret des sources.
Ariane Lavrilleux a annoncé sa remise en liberté, Mercredi 27 Septembre 2023. « Je suis libre, merci beaucoup pour votre soutien », a-t-elle écrit sur Twitter en trois langues, un message accompagné d'une photographie, le poing levé devant un drapeau égyptien.
La journaliste qui collabore également à l'émission Complément d’Enquête de la deuxième chaîne de la télévision française, se voit reproché d’avoir compromis le secret de défense nationale et la sécurité du pays. Le rédacteur en chef de l'émission, Hugo Plagnard, a dit à France Info que « ce n'est pas la première fois que des journalistes français sont auditionnés par des agents de la Direction Générale de la Sécurité Intérieure (DGSI) mais, à ma connaissance, il n'est jamais arrivé ce qui est arrivé à Ariane Lavrilleux, de voir son domicile perquisitionné pendant de longues heures et des policiers qui arrivent avec un magistrat à 6 heures du matin ».
Le collectif Presse-Papiers est sur la même ligne, « une journaliste placée en garde à vue durant deux jours pour avoir fait son métier, c'est inédit ».
Au mois de mai 2019, deux journalistes de Disclose, Geoffrey Livolsi et Mathias Destal, avaient été entendus dans les locaux de la DGSI après la publication d'une note classée confidentielle défense dans leur enquête sur l'utilisation d'armes françaises au Yémen.
Quelques jours plus tard, Ariane Chemin, journaliste du Monde, était entendue dans le cadre d'une enquête pour la révélation de l'identité d'un membre des forces spéciales dans un article sur l'affaire d’Alexandre Benalla.
Au mois de juin 2022, Alex Jordanov, journaliste et auteur d'un livre sur le renseignement intérieur, était mis en examen notamment pour divulgation du secret défense.
« C'est de l'intimidation », selon la journaliste indépendante marseillaise Nina Hubinet, qui a collaboré avec Ariane Lavrilleux dans une autre enquête, « j’étais avec Ariane Lavrilleux à sa sortie de garde à vue et elle m'a confié que c'était dur d’avoir vu une dizaine de policiers débarquer chez elle au petit matin et fouiller sa vie, son ordinateur et son téléphone portable ».
Il n’y a pas de quoi décourager sa consœur, qu'elle dépeint comme plus déterminée que jamais à rendre publiques des informations classées confidentielles, mais qui relèvent de l'intérêt général.
« Pendant deux jours, j'ai eu l'impression de revivre ce que j'ai connu sous une dictature », dit Nina Hubinet, journaliste indépendante.
Militante du collectif Presse Papiers, Nina Hubinet dit ressentir un durcissement en France de la répression contre les journalistes qui travaillent sur des affaires d’état. Après avoir travaillé cinq ans en Égypte, elle se souvient avoir couvert plusieurs manifestations pour faire libérer des journalistes auteurs d'articles compromettants pour le pouvoir en place et elle ose la comparaison avec ce qui se passe en France.
Ce sentiment est conforté par une lettre ouverte du Jeudi 21 Septembre 2023, dans laquelle une quarantaine de sociétés de journalistes ont dénoncé d’une seule voix une situation gravissime dans un contexte de multiplication des procédures contre la presse.
Le gouvernement est resté muré dans son silence suite à cette arrestation. Interpellé dans une conférence de presse, Mercredi 20 Septembre 2023, son porte-parole, Olivier Véran, a éludé les questions d'une journaliste de Mediapart, réaffirmant que la France restait le pays des droits humains.
« La ministre de la culture défend toujours la liberté de la presse, mais elle ne commente jamais une procédure judiciaire en cours », a dit le cabinet de la ministre de la culture à l’Agence France Presse (AFP).
« La situation de la journaliste Ariane Lavrilleux montre qu'il faut maintenant ouvrir un chantier sur la loi en vigueur », a écrit, sur Twitter, Christophe Deloire, le délégué général des états généraux de l'information promis par l'Elysée et qui s'ouvriront Mardi 3 Octobre 2023.